Exit : revue de poésie : « Entre chair et écorce » : Éditions gaz moutarde : numéro 113 : hiver 2023 : 110 pages : 15 $

Voici un bel objet. Il vaut son pesant d’or. Sa beauté est de l’ordre de l’esprit. Il témoigne brillamment de la quête spirituelle, intellectuelle et sensible que l’on peut associer à l’entreprise poétique, pour peu que l’on s’intéresse de près à cette dernière. On me le reproche parfois et, en effet, je ne ménage pas mes mots, mes transports, quand vient le temps de souligner les mérites d’un ouvrage. Celui-ci est un ouvrage collectif. On pourrait le croire disparate en raison de la diversité des auteurs qui y participent. Il n’en est rien. Son unité est grande, du moins dans la section constituée par les entretiens menés par Gérald Gaudet. Cette section fait place au dialogue. Elle s’intitule « Accompagnement » et donne la parole à des poètes de trois générations. D’abord le doyen, Fernand Ouellette ; puis, l’étonnante Isabelle Dumais suivie d’un Claude Paradis dont j’admire un engagement en poésie qu’il me plaît de qualifier d’intègre.

Je m’en voudrais de ne pas mentionner l’apport des écrivains et écrivaines qui ont collaboré à la section régulière du numéro, celle qui propose un florilège où la poésie emprunte diverses avenues. Les voix diffèrent, certes, mais elles collaborent ne serait-ce qu’en raison de leur engagement respectif sur les voies multiples du poème.

« Vaste-moi » est un poème de Sandrine Donkers. Dans sa présentation du numéro, Stéphane Despaties souligne la force de cette écriture, il parle « de mots qui cognent ». On ne saurait mieux dire. Le poème est quelque peu envoûtant : « Des bêtes        déroutées        qui ne parlent pas la même langue / que moi / Mais bavent de la même façon ».

Nicholas Giguère est le directeur du cahier Critique de Lettres québécoises. Il a publié quelques titres. Je le savais romancier, j’ignorais qu’il écrivait aussi de la poésie. Il propose ici des textes brefs. Tout comme Isabelle Dumais qui dans la section consacrée au dialogue avoue privilégier des poèmes brefs (elle parle de blocs de sensations, de « formes modestes et compactes [qui] laissent beaucoup de place au silence »), Giguère propose de courts poèmes qui eux aussi sollicitent la participation du lecteur (Dumais évoque pour nommer cette collaboration de « la générosité de l’attention qu’on veut bien s’accorder lors […] de la lecture d’un poème. »). Giguère écrit : « des entrepôts aux portes / closes rouillées où sont / exposées / les dépouilles de / n’importe qui ». En ces temps troubles et troublants, où sévissent plus que jamais les guerres et les dévastations, ces vers visent juste.

Fernando Carrera par l’entremise de la traduction de Françoise Roy nous offre « Cinq poèmes ». Ce poète mexicain né en 1983 connaît une carrière internationale. La liste des prix et des honneurs qu’il a reçus en témoigne. Sa traductrice dont j’avais lu il y a quelques années un recueil paru aux Éditions de la Grenouillère a elle aussi une feuille de route impressionnante. Elle vit au Mexique. Le souvenir que j’ai gardé de son recueil est encore présent à ma mémoire. Ses poèmes étaient lumineux, ensoleillés. Il y avait là quelque chose comme des coquillages, de scintillants coraux de langage, quelque chose de baroque et de séduisant comme les vagues de l’océan. C’est loin, mais l’impression perdure. Carrera écrit : « Cet enfant toujours enfant qui s’est échappé / de tout nom qui était cage                      de tout / savoir qui n’était pas promesse                    ce lieu / où le désir était son et silence »

Michel Pleau clôt la première section du numéro. J’ai parlé des beaux souvenirs de lecture que m’a laissé Le carrousel des eaux de Françoise Roy. C’est aussi avec un sentiment de reconnaissance que me remonte en mémoire la lecture des deux plus récents recueils de poésie de Michel Pleau. Son Petit bestiaire est une petite merveille de fantaisie. Et lire Une auberge où personne ne s’arrête offre une expérience de lecture dont le charme ne se dissipe pour ainsi dire jamais. Il en reste toujours quelque chose. On rencontre là une voix qui tout simplement dit des choses qui correspondent, je crois, à ce qu’Isabelle Dumais appelle le « sublime délicat ». J’y reviendrai. Pleau offre avec « Sur la mort d’une corneille » une suite de poèmes auxquels je prendrai plaisir à revenir. Il y a des poètes à qui j’accorde spontanément toute ma confiance, Michel Pleau est de ceux-là. Rien ne me semble gratuit chez ce poète. Au sujet de l’écriture, il écrit : « elle frôle les objets sans les déplacer / et ne connaît de l’avenir / qu’une absence qui s’avance ».

La deuxième section de la revue contient le dossier préparé par Gérald Gaudet. On se souviendra de Parlons de nuit, de fureur et de poésie, un recueil d’entretiens paru il y a quelques années chez Nota bene. Dans la même veine, le poète et essayiste, donne à ses pairs l’occasion de présenter leurs travaux, de revenir sur leurs intentions, de préciser la nature de leur poétique. Ce dossier a pour titre « Accompagnement ». En le lisant, en réalise à quel point ce titre est bien trouvé. C’est que le premier invité, Fernand Ouellette, vit avec ses morts bien-aimés, tout en étant entouré de livres ainsi que le sont Isabelle Dumais et Claude Paradis.

FERNAND OUELLETTE

C’est à l’occasion de la parution de Vers l’embellie que Gérald Gaudet renoue, l’espace d’une conversation, avec celui qu’il avait interrogé bien des décennies plus tôt dans le cadre d’un entretien paru dans Lettres québécoises. Gaudet en retrouvant Ouellette est à même de réaliser que le vieux poète est « resté fidèle à lui-même et à ses convictions. » On ne peut que donner raison à Gaudet. En effet, interrogé lors de la parution des Heures, recueil rédigé à l’occasion de la mort de son père, Ouellette tenait des propos qu’il ne saurait aujourd’hui démentir. Le poète était croyant, il l’est demeuré. Cette constante néanmoins ne correspond pas à de l’immobilisme. Quelque chose dans l’écriture de Ouellette s’est transformé. Sa foi également diffère quelque peu de celle que manifestait un recueil comme Les heures. Mais cela, Ouellette ne le souligne pas dans l’entretien qu’il accorde en 2023. Dans le bilan qu’il entreprend avec Gaudet, son regard porte plutôt sur ce qu’il entrevoit aujourd’hui. Tout le passé auquel il revient dans ce nouvel entretien converge dans la direction qui s’ouvre à lui. Il est en marche comme l’écrivait Gaudet dans Lettres québécoises « vers l’invisible et la lumière du monde ». Cela demeure vrai encore aujourd’hui, à une différence près, c’est que Ouellette s’avance maintenant vers la lumière de l’autre monde.

Oui, Ouellette est demeuré fidèle à lui-même. Toutefois, il apporte la précision suivante : « Le poète qui a écrit Vers l’embellie, c’est le même que celui qui a écrit Ces anges de sang. C’est le langage qui change parce que mon être a changé. »

Je note dans cet entretien de légères imprécisions. Elles ont trait aux dates. Le recueil Poésie a été publié en 1972 et non en 1991. Mais c’est là un détail. Du reste, il se pourrait qu’il ait été réédité depuis, et ce, en 1991. Je n’en sais rien. Cependant, et cela le principal intéressé ne le relève pas, Gaudet constate qu’un immense laps de temps sépare la mort du père de Ouellette de la parution des Heures. Gaudet pose la question suivante : « Vous dites que votre père est mort en 1983, et votre livre est paru en 1997. Pourquoi cela a-t-il pris autant de temps ? » Pourtant dans la présentation de l’entretien, le critique précise que Les heures paraissent bel et bien en 1987. Ce détail est un détail fort peu important et Ouellette n’en tiendra aucun compte dans sa réponse, puisque sa réponse portera sur les conditions dans lesquelles cet ouvrage sera rédigé, à raison d’un poème par jour, l’important étant de demeurer alors en présence de son père, de la garder vivant en lui. Du reste, dans sa réponse Ouellette passe rapidement à un sujet afférant, il évoque les autres ouvrages qu’il a consacrés à ses morts, une suite dédiée à son fils et les deux recueils consacrés à sa défunte épouse, encore une fois, par l’écriture, tout se passait alors pour lui « comme si [ses] êtres chers étaient encore avec là. »

Cet entretien donne à Ouellette l’occasion de faire le point sur son existence, de boucler la boucle de son œuvre et de son parcours. Dieu, l’amour et la poésie ont toujours été au centre des préoccupations de Fernand Ouellette. En vieillissant, le poète, bien qu’aujourd’hui il ait déposé la plume, n’en pense pas moins. Il continue de cheminer en pensée et en poésie. S’il revient sur le bleu et la verticalité, il avance aussi dans cet entretien de nouvelles idées, dont une qui ne manquera pas d’étonner, elle a trait à la persistance du paradis dont les arts garderaient en quelque sorte la trace. Tout cela est fort pertinent lorsque replacé dans le contexte de la démarche de Ouellette. Celui-ci en prenant pour guide les lueurs qui lui parviennent depuis l’embellie, va certes vers son avenir, mais cet avenir constitue un retour. « Vous vieillissez, lui dit Gérald Gaudet, vous êtes croyant, vous retournerez bientôt au paradis. » Voilà un saisissant paradoxe. Mais Gaudet n’aurait su mieux dire. Depuis même avant L’inoubliable, l’œuvre de Ouellette en témoigne, son destin consiste en un retour à l’origine, à la pureté initiale de l’enfance, à cela dont l’enfant avait la lumineuse intuition.

ISABELLE DUMAIS

nous nous déplaçons
si lentement
vers l’or brut

Si l’œuvre de Fernand Ouellette m’est familière depuis près d’un demi-siècle, celle d’Isabelle Dumais revêt pour moi un caractère de nouveauté. Certes, j’ai déjà lu mais un peu distraitement certains de ses poèmes, or les astres alors n’étaient pas alignés. Je n’accordai pas au travail de la poète « la générosité de l’attention » que je souhaite, suite à la lecture de son entretien, lui accorder dans un proche avenir. Chaque chose en son temps.

Je dois d’abord témoigner de la richesse de pensée que recèlent ses propos. Ils portent sur ses activités de peintre et de poète. Gérald Gaudet met à la disposition de l’artiste pluridisciplinaire une tribune où celle-ci déploie l’étendue et la sagacité de ses réflexions. Gaudet lui propose d’abord d’examiner les liens unissant ses deux pratiques, peinture et poésie. Ces liens existent-ils et si oui, en quoi consistent-ils ? Il faut lire les réponses d’Isabelle Dumais. Je ne veux pas me défiler ici, mais chercher à en faire la synthèse serait faire ici injure à la finesse de sa pensée, car aucun des tours et détours de sa pensée ne souffre d’être évoqué en ne s’en tenant qu’à la surface, en faisant abstraction du fond très profond qui justement nourrit sa pensée. Nous parlons d’accompagnement avec Gérald Gaudet. Or justement, la créatrice est accompagnée dans ses réflexions et travaux par une myriade d’artistes et d’écrivains auxquels elle réfère brillamment. Incidemment, elle parle de son goût prononcé pour les citations et justifie habilement le recours à ces dernières dans ses ouvrages. Elles forment une manière de toile de fond sur laquelle se déploie sa pensée. Me permettra-t-on de chercher malgré tout à résumer cette pensée ?

Telles des balises, quelques mots ou concepts méritent tout d’abord de faire l’objet de cette présentation. Gérald Gaudet attire d’ailleurs l’attention sur certains d’entre eux, les principaux. Il y a le concept de « microévénement ». Dans un texte paru dans Contre-jour, l’artiste écrivait qu’il s’agit là d’« objets délicats capables de nous ébranler de manière si intime qu’ils arrivent à modifier subrepticement notre rapport au monde. » Que ce soit la toile ou le poème, chez Dumais, les « présences fines » sont porteuses de sens et pour peu que le regardeur ou le lecteur consente à s’y investir vraiment, en collaborant activement à l’émergence de ces sens, quelque chose se produit en lui qui finit par altérer sa conscience. Dans le même texte, « Prolégomènes au sublime délicat », Isabelle Dumais écrit : « [J]e cherche quelque chose comme la manifestation d’une tendresse intelligente, une rigueur délicate, une étrangeté fragile, une intensité subtile. Je cherche ce que j’ai fini par nommer le sublime délicat. »

En réponse à la question des liens unissant ses deux pratiques, l’écrivaine-artiste élabore l’idée selon laquelle le tableau et le poème seraient des blocs de sensations. Tableaux et poèmes en tant qu’objets délicats constituent des « formes denses qui créent en nous de l’affect. Et j’aime aussi, ajoute-t-elle, que ça se fasse dans les deux cas avec des moyens somme toute modestes ; des couleurs assemblées sur une toile, quelques mots réunis sur une page. » L’auteure parle de « pudeur », du « presque rien », de « dépouillement ». Elle parle de l’absurde (camusien) et du lien que l’absurde entretient avec ses travaux. Elle puise chez Spinoza des notions qui l’aident à préciser sa pensée. Jankélévitch apparaît dans un développement où l’artiste-poète songe au rôle que joue chez elle l’autodérision. C’est que chez elle existe une propension à un bovarysme qui risquerait de l’emporter dans « les facilités du pathos ». Il faut aussi savoir un peu rire de soi. D’ailleurs, çà et là le rire fuse généreusement dans cet entretien. L’écrivaine est douée, elle sait parler et se faire comprendre. On pourrait à me lire croire qu’elle est strictement une rigoureuse intellectuelle. Certes, nulle faille n’apparaît dans ses propos. Ils sont élaborés avec une parfaite maîtrise et leur construction, au fil de l’improvisation, se révèle étonnamment bien structurée, solide, tant les idées s’enchaînent grâce à de solides maillons. Alors oui, cette écrivaine-artiste se révèle être une intellectuelle de haut niveau, mais cette hauteur dans ses propos n’interdit pas une forme de légèreté, je devrais plutôt parler d’une forme de camaraderie en raison des rires de l’artiste (du reste, de toute évidence, la complicité est grande entre elle et l’intervieweur). J’ajoute que nulle lourdeur n’apparaît dans le discours, où les concepts et notions dont l’usage est somme toute discret éclairent sans aveugler le lecteur. Contribue également à cette camaraderie des anecdotes, dont celle qui remonte à l’enfance de l’artiste alors qu’elle rencontre le vilain petit canard du conte auquel elle s’associe spontanément. Le canard deviendra un beau cygne tandis que la jeune marginale en viendra à déployer ses ailes sur les scènes littéraires et artistiques.

On sort grandi de la lecture de cet entretien. Il faut remercier l’intervieweur d’avoir trouvé les bonnes questions et l’artiste de lui avoir répondu aussi brillamment. Tout cela est formidable.

CLAUDE PARADIS

Au « sublime délicat » de la poète succède le « sublime familier » de Claude Paradis. On sait sans doute que j’emprunte à Fénelon cette idée d’un « sublime familier ». Elle s’oppose à l’idée qui voudrait que les poètes proposent des œuvres dont l’originalité procède de la monstruosité des moyens mis en œuvre dans leur élaboration. À l’élévation vertigineuse de l’éloquence, à la pompeuse richesse des apparats dont s’ornent les discours, aux scintillements des figures nombreuses, aux pierreries métaphoriques qui souvent ne sont que du toc, Fénelon opposait une économie de moyens qui n’est pas sans faire songer au presque rien évoqué par Isabelle Dumais et dont l’œuvre de Paradis témoigne. Michel Pleau aussi me paraît exemplaire, ses poèmes étant une parfaite illustration de la discrétion poétique préconisée par Fénelon.

Une petite suite de poèmes de Paradis inaugure la section de la revue où il est invité à répondre aux questions de Gérald Gaudet. Comment décrire ces poèmes ? Je viens un peu de le faire. Mais un mot me vient ici à l’esprit. C’est le mot « direct ». Tout se passe dans les poèmes de Paradis comme si la parole y coulait de source. C’est là une impression. Mais assurément l’effet obtenu est le suivant. Cet homme qui tient la plume s’adresse directement à nous et à lui-même. Sa parole ne se réfracte pas de miroir en miroir, en faisant entendre des échos la déformant. Telle qu’elle, elle sourd directement des entrailles de l’âme du poète. Pas de jeu chez lui, pas de dissimulation, mais au contraire une franchise exemplaire. Celui qui parle ici est l’homme qu’est Claude Paradis, l’homme tel qu’en lui-même. En ce sens, il est proche de Fernand Ouellette, chez qui jamais au grand jamais ne s’immisce un autre lui-même que l’on pourrait identifier au « je de l’écriture ». Ce « je » étant l’énonciateur tel que modifié par le travail de la langue et de l’imagination poétique. Je ne dis pas que ces poètes ne rêvent pas, comme tout un chacun, ils imaginent. Mais l’imagination demeure enclose en des bornes. Ces auteurs préfèrent s’exprimer directement dans leurs ouvrages. Bien entendu, leur art poétique diffère et ils ne partagent pas la foi commune à tous les chrétiens, Paradis étant agnostique, voire carrément athée. D’autres points les réunissent, dont celui de la verticalité. On connaît l’importance de la dimension métaphysique chez Ouellette, nul besoin d’y revenir. J’ignorais cependant que Paradis accordait lui aussi de l’importance à la verticalité. Sans doute, faut-il ici distinguer la sienne de celle de Ouellette, mais il n’en demeure pas moins que Paradis cherche en poésie à sortir de son horizon immédiat, à monter « un peu plus haut. » Il écrit : « Poète, je cherche comment faire entrer l’horizon dans la verticalité du rêve. » Paradis, Dumais et Ouellette ont aussi en commun ce besoin de s’exprimer. Paradis et Dumais œuvrent en recourant une forme de dépouillement et un tel dépouillement peut être observé dans les derniers poèmes de Ouellette, ceux de Vers l’embellie, du moins ces poèmes sont-ils brefs. Pour sa part, la poésie de Paradis est quasi exempte de métaphores. Il le confie à l’intervieweur : « Je ne cherche pas l’image, je cherche plutôt le dialogue, le point de rencontre du langage. Il y a quelque chose de plus direct. »

Oui, ce poète est pour nous une manière de frère, de camarade dont la parole nous atteint directement, dans sa grande sobriété. Il ne nous parle pas de ce qui se cache sous terre, de ce qui se déploie au-delà de notre entendement. S’il cherche à atteindre la verticalité, cette verticalité néanmoins ne débouche pas dans l’ailleurs, dans l’invisible. La dimension métaphysique transparaît sans doute dans les objets sur lesquels tombe son regard, objets du quotidien, arbres lors de ses promenades, personnes croisées au détour d’une rue. L’homme est vivant aujourd’hui, dans un corps vieillissant dont il prend plaisir à suivre les transformations, car elles témoignent du simple fait de vivre, ici et maintenant. L’homme est vivant et attachant. L’entretien nous le révèle attentif au monde qui l’entoure, à ses proches, à ses camarades. Tout comme Isabelle Dumais et Fernand Ouellette, il nous raconte certaines anecdotes. On en redemande. Ce qu’il dit au sujet de son père est franchement touchant.

Et ses poèmes ? Eh bien, il faut tout simplement les lire. Ils sont magnifiquement simples. Je n’en connais pas de plus directs. En ce sens, Paradis est proche d’un Jacques Brault, mais en plus direct, je crois. Oui, la revue propose ici de beaux inédits. Mais dans un proche avenir, se pourrait-il que l’on puisse enfin mettre la main sur un nouveau livre de Paradis ? Celui-ci à l’heure qu’il est l’élabore sans doute patiemment. En attendant sa parution, aurons-nous une patience égale à la sienne ?

FLEURIR

Je suis sorti de ma solitude,
ou plutôt je l’ai amenée dans un café,
pour la nourrir de quelques visages.
Il me faut quelquefois entretenir
mes pensées et mes rêves, ne serait-ce
que pour confirmer ce que me disent
les livres qui m’accompagnent.

Je partage avec Christian Bobin
le sentiment que c’est au cœur
des livres qu’on rencontre
la meilleure part de l’humanité.
Mais je savoure avec plaisir
le dessin d’un beau visage
quand je promène ma solitude …

À une table du café s’installe
une belle jeune femme avec un pot
contenant une petite plante, qui semble
destinée à l’amie venue la rejoindre.
Je peux reprendre ma lecture
puisque ma tête a légèrement fleuri.

Auteur : Daniel Guénette

Né le 21 mai 1952, Daniel Guénette est originaire de Montréal. Il a vécu la majeure partie de son existence dans l’arrondissement de Saint-Laurent. Après des études en lettres à l’Université de Montréal, où il obtient un diplôme de maîtrise en création littéraire, il enseigne la littérature au cégep de Granby. En 2011, il prend sa retraite après 34 années d’enseignement. À l’aube de la soixantaine, il renoue avec l’écriture qu’il avait cessé de pratiquer durant près de vingt ans. Il publie chez Triptyque deux recueils de poésie, Traité de l’Incertain en 2013 et Carmen quadratum en 2016, ainsi qu’un récit, L’École des Chiens, en 2015. Dans son œuvre antérieure alternaient ouvrages de poésie (3 titres au Noroît, 2 chez Triptyque) et productions romanesques (3 titres chez Triptyque). Ces ouvrages furent publiés entre 1985 et 1996. L’ensemble fut bien reçu par la critique. À l’occasion du vingtième anniversaire des éditions Triptyque, feu Réginald Martel écrivait : « Et on soupçonne que bien des éditeurs seraient ravis d’inscrire à leur catalogue, parmi quelques auteurs de Triptyque, le nom d’un Daniel Guénette, par exemple. » J. Desraspes a enchanté Jean-Roch Boivin : « Ce roman est un délicieux apéritif, robuste et délicat, son auteur un écrivain de talent et de grands moyens. » Réginald Martel parle d’un roman « qu’on dévore sans reprendre son souffle » ; il salue également la parution des romans qui suivent, se montrant surtout favorable à L’écharpe d’Iris. Pierre Salducci écrit dans Le Devoir un article élogieux sur ce roman : « L’écharpe d’Iris est une réussite, une petite musique qui nous parle de la nature humaine et qu’on n’arrive pas à oublier. Un roman magnifique, un vrai. Pas un phénomène de mode. Pas un produit branché et périssable. Mais de la littérature. Tout simplement. » L’École des Chiens, qui en 2015 marque le retour de l’auteur au récit, a été commentée par divers blogueurs, dont le poète Jacques Gauthier : « Ce beau récit du poète Daniel Guénette évoque, avec pudeur et humilité, les onze années vécues auprès de Max qu’il a dû faire euthanasier à cause d’un cancer. Ils sont rares de tels livres qui traitent si tendrement de la relation entre un homme et son animal de compagnie. Ça parle de vie et de mort, d’attachement et d’amitié, d’enfance et de solitude. » Pour sa part, Topinambulle écrit : « Dans ce très beau récit, un homme apprivoise doucement le deuil de son chien. À la manière de Rousseau, Daniel Guénette nous invite à le suivre dans ses promenades, dans les méandres de ses souvenirs, où l'évocation de l'ami fidèle nous servira de guide. ». Dominic Tardif, dans Le Devoir, 4 juillet 2015 a rendu compte chaleureusement de L’école des chiens. Il a souligné qu’avec ce récit, l’auteur avait produit « de la vraie littérature » : « Plus qu’un livre sur un maître et son animal, L’école des chiens célèbre le pouvoir de l’écriture qui, chez Daniel Guénette, n’aspire pas à remplacer l’en allé, mais bien à en continuer la vie. » Recommandé avec enthousiasme à ses téléspectateurs, L’école des chiens a fait l’objet d’un échange de cadeaux à l’émission LIRE présentée sur ARTV. À partir de 1975, l’auteur a collaboré à diverses revues de littérature à titre de poète et de critique. On a pu lire ses recensions dans la revue Mœbius. Pour l’une d’elles, l’auteur a été finaliste au Prix d’excellence de la SODEP 2016, dans la catégorie Texte d’opinion critique sur une œuvre littéraire ou artistique. Plus récemment, l’auteur a publié deux nouveaux titres en poésie, Varia au Noroît en 2018 et, à l’hiver 2023, La châtaigneraie aux Éditions de la Grenouillère. Pour ce recueil, le poète a été finaliste au Prix d’excellence du webmagazine La Métropole. Dans la recension que réserve à cet ouvrage la revue LQ, le critique Antoine Boisclair écrit: « Ce recueil émouvant, très maîtrisé du point de vue formel, témoigne d’un savoir-faire indéniable. » Le critique et poète français Pierre Perrin écrit dans sa revue trimestrielle de littérature, la revue française « Possibles », ne pas confondre avec la revue québécoise du même nom : « Daniel Guénette a le vers sûr, souvent proche de l’alexandrin, parfois très bref. Il sait restituer une vie, avec sa foudre, ses éclairs, et les moments de calme, voire de communion. La Châtaigneraie constitue un beau recueil presque filial. » Pour sa part, dans Le Ou'tam’si magazine, Nathasha Pemba déclare que « La châtaigneraie est un recueil de poésie qui a l’allure d’un hommage, d’un renouvellement du contrat amical. C’est une poésie ontologique qui va au fond des choses pour faire émerger l’être. Daniel Guénette une fois plus confirme qu’il est poète, le poète de l’amitié, le poète de l’altérité, le poète de l’éternité. » Outre ces recueils de poésie, l’auteur fait paraître quelques nouveaux romans. De Miron, Breton et le mythomane, paru en 2017 à La Grenouillère, Dominic Tardif écrit dans Le Devoir : « Chronique des glorioles imaginaires d’un grand taquin aimant (se) conter des histoires et fabuler une légendaire vie d’aventures, Miron, Breton et le mythomane est le carton d’invitation d’une fête organisée en l’honneur du mensonge auquel s’abreuve n’importe quelle forme de littérature digne de ce nom. » Pour sa part, Dédé blanc-bec reçoit dans Nuit Blanche un commentaire signé Gaétan Bélanger : « Le ton poétique empreint d’humour et de nostalgie adopté par l’auteur rend extrêmement agréable la lecture de ce roman émouvant. Il faut préciser que, tout d’abord, il est un peu déroutant de suivre les bonds fréquents de la narration dans le temps. Plus que de simples digressions, elles donnent parfois l’impression que l’auteur saute du coq à l’âne pour revenir aux mêmes événements, observés sous un angle différent. Mais on s’habitue vite à cette manière ou à ce style et on l’apprécie pour son originalité. Voilà donc un roman au texte minutieusement poli et se démarquant par sa qualité et son audace. » Vierge folle est le dernier roman de l’auteur. La recension parue dans Culture Hebdo se termine avec ces mots : « Nous vous laissons le soin de découvrir la conclusion. Excellent, est un euphémisme. On a adoré. » Ce roman, sans doute le meilleur de l’auteur, s’il a suscité l’enthousiasme de ses lecteurs n’a guère fait l’objet de recensions sérieuses. Pour des recensions sérieuses, il aura fallu attendre l’hiver 2023. Au billet d’Antoine Boisclair portant sur La châtaigneraie, se sera ajoutée dans Le Devoir une chronique de Louis Cornellier consacrée non pas à un roman ou un recueil, mais à un essai. Le journaliste y salue d’abord le travail entrepris par l’écrivain sur son blogue : « Fin lecteur de poésie, l’écrivain s’y impose comme un critique raffiné, érudit et amical dont le style, limpide et élégant, s’apparente à celui de la conversation relevée. Ces qualités en font une rareté dans le paysage littéraire québécois. » Puis, il rend compte de l’essai : « Dans Le complexe d’Orphée (Nota bene, 2023, 186 pages), l’écrivain se fait plus essayiste que critique en proposant « une manière de promenade » dans laquelle il tente « de saisir la nature de la poésie ». Fidèle à son approche modeste et exploratoire, il déambule en compagnie des poètes et penseurs qu’il aime afin de délimiter son objet, tout en cultivant le souci de ne pas l’enfermer. » Il conclut sa chronique en ces termes : « Partisan des « poèmes limpides » qui disent de « simples vérités », Guénette trouve dans la poésie un antidote « à l’endormissement de [ses] facultés » ou, comme l’écrit Valéry, un discours « chargé de plus de sens, et mêlé de plus de musique, que le langage ordinaire n’en porte et n’en peut porter ». Fénelon aurait aimé ce livre admirable. » La conclusion de l’article d’Antoine Boisclair portant sur La châtaigneraie était elle aussi plutôt réjouissante : « Romancier accompli (son dernier récit, Vierge folle, est paru en 2021 aux éditions de La Grenouillère), critique littéraire important (son blogue, intitulé Dédé blanc-bec, offre des comptes rendus très étoffés sur des publications québécoises), Daniel Guénette est aussi un poète qui mérite toute notre attention. »

4 réflexions sur « Exit : revue de poésie : « Entre chair et écorce » : Éditions gaz moutarde : numéro 113 : hiver 2023 : 110 pages : 15 $ »

  1. Au sujet de l’écriture, il écrit : « elle frôle les objets sans les déplacer / et ne connaît de l’avenir / qu’une absence qui s’avance ». Michel Bleau

    Ça décoiffe même un profane!

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