C’est une aventure amicale et éditoriale que je présente dans ce billet, plus intime que de coutume, plus personnel. Je désire honorer un poète singulier, un personnage hors-norme qui a joué un rôle considérable dans l’histoire de la poésie québécoise.
À l’époque où Fernand Ouellette arrive sur la scène littéraire, il y a fort peu de poètes au Québec. Bien sûr, d’illustres écrivains leur ont pavé la voie, surtout à partir du milieu du dix-neuvième siècle. Parmi eux, Octave Crémazie, Pamphile Lemay, Louis Fréchette et j’en passe. Des hommes surtout, et quelques rares femmes, Medjé Vézina, Jovette Bernier entre autres. Albert Lozeau n’est plus de ce monde lorsque naît Fernand Ouellette. Émile Nelligan vit ses derniers jours dans un institut psychiatrique. Saint-Denys Garneau disparaît rapidement après avoir produit une œuvre qui marquera les poètes de la génération de Ouellette et qui encore aujourd’hui connaît un fort retentissement.
Il y a eu des poètes avant Ouellette. Mais pour Ouellette, il y eut surtout l’incontournable Alain Granbois. Avec lui débute l’histoire de la poésie contemporaine québécoise. La poésie, déjà engagée sur cette voie par Saint-Denys, connaîtra des développements fulgurants lorsqu’entreront en scène les poètes de la génération de l’Hexagone. Ouellette sera l’un des tout premiers à publier dans la jeune maison fondée par Gaston Miron et quelques-uns de ses compagnons. Des femmes et non des moindres proposeront des œuvres majeures. Rina Lasnier, Anne Hébert, Suzanne Paradis et plus tard, et encore aujourd’hui, Nicole Brossard auront donné à la poésie d’ici toute l’aura que l’on sait.
Si Ouellette a œuvré au sein de cette collectivité, une chose est certaine, elle s’est depuis considérablement développée. On compte aujourd’hui davantage de poètes qu’au milieu des années soixante et soixante-dix. Les grands poètes de cette période si faste nous ont quittés, à l’exception de quelques-uns. Jean-Noël Pontbriand a publié récemment un imposant recueil. Il est de la génération de Ouellette. De son côté, Ouellette qui fêtait récemment son quatre-vingt-treizième anniversaire de naissance vient tout juste de publier son dernier opus, lequel sera sans doute son chant du cygne. Mais quel chant cela est ! Et quelle chance nous avons de pouvoir aujourd’hui accueillir ce chef-d’œuvre ultime, peut-être le plus grand de son auteur !
Ouellette a contribué à faire de la littérature québécoise ce qu’elle est aujourd’hui. Si son rôle de réalisateur d’émissions littéraires à la radio de Radio-Canada a eu un indéniable impact ; si ses œuvres ont profondément marqué les poètes de ma génération, il n’en demeure pas moins que de nombreux jeunes écrivains tiennent aujourd’hui le haut du pavé et qu’ils ignorent peut-être ou méconnaissent l’oeuvre du poète.
Ouellette n’est plus la saveur du jour. Malgré tout, contre toute attente, Vers l’embellie reçoit un fort bel accueil. Christophe Condello l’a accueilli sur son blogue. Ricardo Langlois lui a ouvert les portes du journal en ligne La Métropole.com. Le magazine Nuit blanche m’a proposé de consacrer un article à ce recueil (voir le numéro 171) et la revue Possibles lui a consacré récemment un billet littéraire. On trouvera ce billet dans Possibles V. 47, N. 01 – Été 2023. On peut consulter gratuitement tout ce numéro en ligne. (https://revuepossibles.ojs.umontreal.ca/).
Ce dernier article, je ne veux pas le reproduire ici. Lors du lancement, plutôt que d’en lire des extraits, je me proposais de présenter, comme je l’ai mentionné ci-haut, l’aventure qu’aura été pour Ouellette et moi la publication de son dernier manuscrit. J’avais choisi des poèmes de Vers l’embellie et désirais les lire.
Je vous épargne de petits détails. Je me borne à souligner les grandes lignes de l’histoire. J’avais connu Ouellette à l’occasion de la sortie des Heures. La défunte revue Nos livres m’avait chargé de rédiger un article sur le recueil et de mener un entretien avec son auteur. Outre les rencontres occasionnées par ces travaux, Ouellette et moi ne nous étions ensuite retrouvés que par intermittence, à l’occasion de divers lancements. Après de nombreuses années sans se voir, ce n’est qu’au Salon du Livre de Montréal que nous sommes revus en 2017 alors que Ouellette s’y rendait pour une séance de signature. Où tu n’es plus, je ne suis nulle part venait de paraître au Noroît. Le recueil était entièrement consacré à la mémoire de l’épouse du poète, décédée quelques années plus tôt, soit en 2014. À partir de ce jour, le poète et moi nous sommes revus à de nombreuses reprises.
Je lui rendais visite à son domicile. Je lui tirais un peu les vers du nez. On me pardonnera cette dernière expression, mais le fait est que je me montrais curieux de ce qu’avait été sa carrière, de ses opinions en matière de poésie et de musique. L’homme est charmant et ne se fait pas prier pour entretenir le feu de conversations animées.
Parfois, je m’enquérais des activités du poète. Écrivait-il encore ? Il me répondait vaguement que depuis le décès de Lisette il était moins actif. Il se limitait à écrire de petits poèmes. Il en avait quelques-uns, mais il ne savait pas quel destin leur réserver.
Le sujet revenait parfois sur le tapis. Je désirais obtenir plus de précisions. Un jour, la chose devait être mûre, car le poète évoqua avec plus de précision un certain manuscrit. Il l’avait fait lire à sa fille Sylvie qui lui avait affirmé que ses plus récents poèmes étaient aussi beaux sinon davantage que ce qu’il avait produit par le passé. De tels propos ne tombaient pas dans l’oreille d’un sourd. Malgré tout le respect que j’ai pour l’homme, j’eus la témérité de me montrer insistant. Pouvait-il au moins me montrer quelques-uns de ses vers ? Il obtempéra.
Je me souviens. Il ouvrit son manuscrit. Nous étions tous deux debout en face d’un bureau, dans le milieu de son cabinet. Il me lut deux ou trois poèmes. Je montrai mon intérêt pour la suite. Aurait-il objection à me faire parvenir par courriel une copie de son manuscrit ? Il ne s’y opposa pas.
Une fois lu le manuscrit, de retour chez le poète, j’eus le culot de mettre les points sur les i. Ce manuscrit, à mon avis, il se devait impérativement de voir à sa publication. Je savais la fatigue du poète, la déception que le trop modeste accueil réservé à son précédent recueil lui avait causée. Voir à ce qu’un ouvrage soit publié est chose éreintante, qui demande beaucoup d’énergie. Ah ! Il était peu enthousiaste à l’idée de s’embarquer dans une telle galère. L’œuvre serait donc posthume. Sa succession y verrait ou non, il ne s’en souciait pas vraiment. Du reste, où publier ? Dans quelle maison ? Tous ses anciens éditeurs s’étaient retirés. Vraiment, il entendait renoncer à ce que son manuscrit fût publié de son vivant.
C’est alors qu’en toute amitié je lui offris d’intercéder auprès de mon ami éditeur Louis-Philippe Hébert. Ah ! Fernand se souvenait de lui. Il l’avait côtoyé à Radio-Canada. Il apprenait qu’il était éditeur. Dans quelle maison ? — À la Grenouillère.
Ce nom pour une maison d’édition ne lui semblait pas très sérieux. Je lui expliquai que l’éditeur avait acheté cette maison et qu’il en avait un peu modifié le nom, mais qu’il était resté fidèle aux grenouilles du premier titre. Plus sérieusement, je lui fis valoir que la maison était très sérieuse. Le fait que j’y publiais depuis quelques années en témoignait moins que l’illustre kyrielle des auteurs que Louis-Philippe y avait accueillis. Je nommai entre autres Denise Desaultels, Paul Chanel Malenfant. Pierre Ouellet y serait bientôt publié. Le recueil de Fernand paraîtrait rapidement et figurerait dans la collection « Les classiques du XXIe siècle ». Le poète me demanda un peu de temps pour réfléchir.
La réponse ne se fit pas longtemps attendre. Il acceptait. Les choses furent mises en marche sur-le-champ. Une belle aventure commença. On croira que je me ici donne le beau rôle. À dire vrai, je suis heureux et fier d’avoir accompagné le poète dans cette aventure. Le résultat final me paraît magnifique.
Denise Brassard consacre dans le prochain numéro de Voix et Images une partie de sa chronique au recueil du poète. Il sera présent au Salon du Livre de Montréal. La vitalité du poète impressionne. Il a produit des poèmes d’une grande beauté. Tous sont tournés dans la direction de l’embellie. Le poète ne vit que dans l’espoir de la rencontre qu’évoquent le premier et le dernier poème reproduits ci-dessous. Lisette l’attend. Dans le dernier poème du recueil, en fait, dans tout ce recueil, le poète affirme que la vraie vie est désormais pour lui au bout de son chemin.
Rencontre (le premier poème du recueil)
Tu as franchi le large,
Là devant moi.
Sur-le-champ, un astre
M’a pris le cœur.
Ton simple regard intense,
Par la foudre, m’a traversé.
La fusion de nos destinées
S’est accomplie dans l’émerveillement.
C’était toi me rejoignant à jamais.
C’était notre amour.
La vie
Mes mots vacillent, cèdent à l’orage.
La douleur n’espère plus de levant.
La solitude seule demeure prévisible,
Se laisse façonner par des jours
À mourir de vide grisâtre, et d’assauts,
D’images enfouies encore incandescentes.
Comment aurais-je cru
Que le cœur pouvait se laisser habiter
Par des moments dépourvus de soleil,
Ou par des éclairs de braise,
Depuis si longtemps, tout au long
D’une vie mesurée dont l’enfant,
Saturé de désirs,
N’aurait su imaginer le parcours ?
Un être
Je déambule avec une lanterne
Parmi des souvenirs du temps
De la plénitude, avant les jours
De pierre qui mesurent la résistance
De mon souffle, de mon espérance.
En elle, l’unique,
Dominait la force du levant
Qui pouvait tant m’éblouir.
Néanmoins, elle devait affronter
Une mémoire qui ouvrait
Des enfers, des éruptions.
Jamais je n’aurais pu assez aimer
Un être pareil, si concentré,
Dans lequel la vie mêlait les saisons,
Les silences et les lumières.
Pierreries
Notre étreinte avait ses ombres
Comme tout nid de lumière.
Le cœur attirait des comètes
Et des mots irradiants.
L’amour, même fragilisé,
S’adossait à l’infini.
Tout en nous s’imprégnait de juillet.
Puissamment la nuit nous apaisait,
Ou nous ballotait,
Ainsi qu’une barque sur l’onde.
Et nos rêves étincelaient,
Pierreries vives
Dans l’œil de l’enfant.
Premier mot
J’ai désappris l’attention à la joie,
Les surprises d’un pré,
L’émerveillement devant le langage
Du vent, des merles, d’un torrent.
Tout ce qui me rappelait l’origine.
Je me tiens le plus souvent
Avec mes morts qui n’ont ni âge ni voix
Auprès de la terre qui maintient
Son antique tendresse,
En attendant le premier mot du matin.
Et je me recueille en appelant
L’or qui s’élève des souvenirs du cœur.
Enfer
Dans la nuit abyssale
Mûrit le déploiement de l’aube.
La nuit n’est qu’une apparence
En attendant que j’entre dans la lumière
Plus transformante.
Un jour je vais quitter
Mon petit enfer
Pour te retrouver
Bien à côté de moi
Dans un sublime étonnement.
Car tu seras à la lisière
Du monde que je vais traverser,
Sinon je n’aurai
Que mal rêvé.
Lever
Comme un gîte ancien
Je me délabre. Comment l’esprit
Peut-il se sentir saturé de gravats ?
Ah ! si loin recule l’exil du désir,
Le lieu où l’aimée,
Pareille à une pierre, ne peut répondre.
Et pourtant de là-bas elle me sourit, mais
Ses ondes ne me sont pas encore parvenues.
Le miracle est à venir.
Tout ce que j’ai d’être attend au sommet de l’âme
Qu’avec ma mort sa présence se révèle enfin !
Tel l’astre du matin devant moi.
Transfiguration (le dernier poème)
Maintenant, je fais œuvre de naissance.
Ma vie, avec son envolée, se confie
À l’attirance de l’invisible :
Vrai lieu de mes morts familiers,
Fascinés par le bruissement
D’ailes des anges.
Peu à peu la peine, le désir
Consument les limites du vivant.
Toute pensée qui traverse la terre
En se liant aux oiseaux,
En saisissant le large de la mer,
N’a d’autre axe, d’autre visée.
Voilà ma tâche urgente de transfiguration.
Je vais enfin mourir pour vraiment vivre.
Un vrai beau conte de Noël ton aventure conduisant à l’édition de Vers l’embellie! Merci de nous avoir révélé ta démarche généreuse dans l’ombre.
«Je déambule avec une lanterne
Parmi des souvenirs du temps
De la plénitude…»
Quelle image, probablement plus forte à chaque année qu’on prend!
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Conte de Noël ! Eh bien ! Je profite de l’occasion pour te souhaiter un bon Temps des Fêtes. Merci pour tes commentaires. Tu déambules fidèlement avec ta lanterne dans mes petites études. Je t’en suis reconnaissant.
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