Depuis que je tiens un blogue de littérature, il est arrivé à plusieurs reprises que des auteurs connus ou inconnus, à tout le moins inconnus de moi, me contactent afin de me faire parvenir leur tout dernier ouvrage. Je réponds invariablement à chacun que je suis passablement occupé, ce qui est vrai, et que, par conséquent, il est possible que je ne donne pas suite à leur envoi. Je fais savoir à l’auteur ou l’autrice que je n’écris au sujet d’un livre qu’à la condition d’être parvenu à « vraiment » le lire. On aura compris qu’il faut que le livre me parle ou qu’à cette fin je lui laisse la chance de me parler. Qu’un livre soit ou non excellent, il n’est pas dit que l’on est en mesure d’en faire la recension de manière éclairée.
Cela dit, j’aurais été fort mal venu d’éconduire François Baril Pelletier. Sa requête était toute simple et ses attentes, il me le confessa, n’étaient pas très élevées. Il me laissait entièrement libre de parler ou non de son recueil. Or, je viens tout juste de le recevoir et de le parcourir — parcourir n’est pas le bon mot. À dire vrai, je l’ai lu immédiatement, puis, je l’ai relu et encore relu. Vraiment, vu la qualité de cette œuvre, il eût été regrettable que ce livre échappât à ma connaissance.
Voilà une bien longue entrée en matière. Mais bien qu’elle soit longue, je juge opportun de la prolonger.
Je reviens donc un instant sur la distinction entre auteurs connus et auteurs inconnus. On a beau dire, si certains auteurs connus ne méritent pas vraiment de l’être, il est des auteurs inconnus dont l’existence devrait franchement être portée à l’attention de tout véritable amateur de littérature. On réserve le titre de méconnus aux écrivains dont l’œuvre, bien que méritoire, passe relativement inaperçue. François Baril Pelletier n’est ni un auteur inconnu ni un auteur méconnu. Si j’ignorais son existence, seule mon ignorance était en cause. Cela dit, c’est sans a priori que j’ai d’abord ouvert Dans la lumière de la traverse, ou plutôt presque sans. En fait, je croyais que j’y trouverais un recueil plutôt convenu, probablement moyen, puisque, je le rappelle, aucune rumeur médiatique n’avait à ce jour fait parvenir jusqu’à moi le nom de cet auteur. Ce silence me paraissait révélateur d’une certaine indigence. Mais ce silence était autrement éloquent. Il disait le contraire de ce que j’avais d’abord pensé. Les poètes les plus discrets, de toute la cuvée sont souvent les plus délicieux. Cela est vrai dans le cas de Baril Pelletier.
En effet, dès la première lecture, la pertinence de son ouvrage m’a paru franchement évidente. Si bien que c’est moins pour mieux comprendre ce que je lisais que je me suis mis à le relire, que pour m’imprégner davantage encore de cette substance dont je percevais la richesse, bien que seule sa beauté m’en effleurât d’abord. Il existe en poésie un indéniable plaisir de lecture ; de nombreux aspects d’un texte le suscitent, dont assurément la qualité de l’écriture. Celle-ci est un facteur déterminant du plaisir que l’on éprouve en lisant de la poésie, est un des éléments conducteurs qui du texte à la lecture engendrent dans notre perception un contentement qui, cela va de soi, est en grande partie de nature esthétique, mais dont le gain est, dans le meilleur des cas, principalement procuré par la prégnance du texte qui, outrepassant les limites de l’art, ajoute à la lecture une plus-value de sens, comme si justement le poème était alors porteur de cela qui chez le lecteur déclenchera un processus qui peut-être en sera un d’élévation spirituelle.
Je l’affirme sans ambages, ce livre est excellent. Sa simplicité opère à merveille. Avec un sens remarquable de la mesure, de la retenue, avec un doigté minutieux, un sens délicat de la musique, du phrasé, François Baril Pelletier produit un art sans prétention. Ses poèmes sont tous brefs. Les images apparaissent çà et là avec sobriété. Elles évoquent. Mais qui dit simplicité ne dit pas simplisme ou insipidité. Une certaine subtilité se rencontre même à travers une forme simple. Le poète joue de la disposition des vers, de leur enchaînement qui, en raison d’une absence de ponctuation à peu près généralisée, offre des parcours aléatoires, divers, que les lecteurs empruntent à leur gré, privilégiant tel raccordement des vers entre eux plutôt que tel autre. Cela ajoute à la polysémie d’un ouvrage dont la trajectoire est cependant univoque. En effet, le poète dans ce recueil suit une voie et celle-ci est celle d’une ascension. Il parle d’une « montée ». Il se situe dans l’ouverture et la Voie lactée l’inspire grandement. C’est à plus haut que soi qu’il aspire, tourné vers un certain avenir, mais habitant pleinement le temps présent.
Là-bas
Loin dans les ciels
D’un futur
D’un passé
Du présent
Éternellement
À réinventer
« Une étoile [scintille] / Dans le sein » du poète, « comme une prière / Au chemin de la poitrine ». C’est dans la blancheur, j’imagine celle du cœur apparié à la lumière de l’étoile, que le poète chemine « Jusqu’à la grande lancée ». Il parle de « Ces routes montrées / Par les doigts tendus / Vers le haut des cimes ».Le préfacier du recueil a bien raison de souligner qu’il y a chez le poète une « saisie du réel ». Cette saisie a trait, écrit-il, à « l’immensité invisible « du réel (les vers que je viens de citer vont dans ce sens), mais elle s’applique également à « sa substance visible ». De ce monde visible, admirable, une section de l’ouvrage témoigne de splendide manière. Dans « Les jardins de la terre et du ciel », cette « substance visible » coule comme le vin qui vient de la vigne. Les plantes et les forêts, les sentiers et la Voie lactée la manifestent. Cette réalité toute physique du monde réel me paraît pousser le poète à poursuivre sa quête, à aller de l’avant.
Et l’on marche
Le cœur
Dans la poitrine
Le ciel dans la serviette
Et dans son baluchon
Le miracle de marcher :
Un pas devant l’autre
Du chemin aux marées
En passant par la rivière
Transportée par l’être
On s’étonnera peut-être de voir ici une rivière transportée par l’être, mais s’étonner avec François Baril Pelletier est chose fort agréable. On aime déambuler au sein de ses poèmes « Dans l’éternelle / Errance / Volupté / de l’Être / Qui jusqu’au delta / Ruisselle ». On aime que dans son recueil il soit question de musique, de celle que fait entendre le criquet, des « voix / Éperdues / Sur le bord du ruisseau / Trop seules / Pour avoir pu / Chanter dans d’autres oratoires ».
Si le chant en vient à culminer « Jusqu’à la gloire / De la joie », les horreurs du monde n’en sont pas pour autant oblitérées. Le poète a beau rêver d’un monde meilleur et nous, encore une fois, nous avons beau lui emboîter le pas, malgré la musique, dans ces poèmes se font entendre les tumultes : « Des désastres plus grands / Que la terre en soi ».
Les deux derniers poèmes de son recueil sont magnifiques. Une cime, du moins mentalement, est atteinte, un trésor à force de vivre a été découvert. Le poète entend le léguer « À la nuée / Vivante, aux ors libres / Aux enfants de demain ».
C’est sur ces mots que se termine le recueil. Il s’était ouvert avec une préface dont il convient maintenant de mentionner la pertinence. Elle est signée Michel Muir. On se souviendra que cet écrivain avait au siècle dernier quelque peu « effrayé » la chronique. Son pamphlet intitulé Poètes ou imposteurs lui avait valu quelques inimitiés. Sans mentionner qui que ce soit, il administre ici quelques bastonnades. Mais celles-ci ont pour but de mettre en valeur le poète qu’il présente afin de mettre son travail à part « des pauvres modes insanes de notre époque ». Il a raison, François Baril Pelletier a écrit un livre dont la facture diffère grandement de ce qu’on lit habituellement. Pour ma part, j’y découvre ce que Fénelon appelait jadis « un sublime familier ».
Muir signe une préface qui a le mérite de dire l’essentiel. Elle encouragera le poète à poursuivre sur une voie que Muir dit nouvelle : « à la différence des précédents recueils, qui se singularisaient par l’abondance des métaphores et des épithètes, celui-ci se distingue par une évidente sobriété, une simplicité dans le dire qui atteste une meilleure saisie du réel, dans sa substance visible et dans son immensité invisible. Nous sentons que le poète cherche davantage à cerner le vif, à tailler son poème dans la matière subtile du vivant. »
Très bel article, merci cher Daniel.
J’aimeJ’aime
C’est un bien beau recueil. Salut Christophe !
J’aimeAimé par 1 personne
Merci de me faire découvrir!
J’aimeAimé par 1 personne
Ah! un poète qui, Comme Bobin, écrit avec son coeur. La rivière transportée par l’être, c’est à rapprocher d’Emily Dickinson quand elle écrit à son ami Elizabeth Holland: And I hear today for the first time the river in the tree. L’arbre c’est elle, la rivière c’est le flot de la conscience
qui monte jusqu’au ciel des branches. C’est une expérience intérieure que j’ai vécue 2 fois.
Merci Daniel pour cette découverte.
François
J’aimeJ’aime
Merci pour ce commentaire, merci pour Bobin, Dickinson et cette rivière que je comprends mieux. Oui, François Baril Pelletier a écrit un très beau recueil.
J’aimeJ’aime
Combien touchante, authentique et palpitante cette description de ton heureuse découverte de cette oeuvre de Baril Pelletier.
Quelle belle mise en valeur des poèmes de cet «inconnu»!
Fascinant de voir ton processus pour faire ressortir son talent.
C’est beau, mystérieux et admirable tout ça.
Combien d’aspirants aimeraient vivre cette chance!
J’aimeJ’aime
Inconnu, tout cela est relatif. Je ne le connaissais pas, mais, ce poète, qui est aussi un peintre, a quand même fait assez de bruit : ce n’est pas parce que je n’avais pas entendu ce qu’on disait à son sujet qu’on peut dire qu’il est inconnu.
J’ai trouvé les informations suivantes : « Peintre et poète, François Baril Pelletier a publié plusieurs recueils de poésie, dont Apocryphes du cœur et Terres et traces de l’immuabilité aux Éditions David. Aux Éditions L’Interligne, il est l’auteur du recueil Les trésors tamisés, finaliste au Prix littéraire du Gouverneur général en 2015. »
Entre toi et moi, finaliste au Prix du Gouverneur général, ce n’est pas rien.
Cher Laurent, je te remercie pour ton beau commentaire.
J’aimeJ’aime