Qu’est-ce qu’un poème ?
Dans Baisers soufflés, un recueil paru chez le même éditeur, Patrick Devaux, dont la fantaisie est savoureuse, écrit :
le poème
est
cet escalier
de
secours
où
les mots
souvent
d’urgence
tentent
de
s’agripper
aux rampes
quand
s’esquivent
les marches
C’est avec le sourire que Patrick Devaux témoigne ici d’une périlleuse réalité. Je crois que Parme Ceriset ne désavouerait pas ses propos. On retrouve en effet dans les poèmes de celle-ci une certaine gravité, Patrick Devaux parle « d’urgence ». Son poème en forme d’escalier me paraît représentatif non pas de la manière de la poète, mais bien des enjeux qui animent son écriture et sa pensée. Ce petit poème décrit de façon condensée, si ce n’est la démarche de tout poète, en tout cas assurément celle de Parme Ceriset.
Celle-ci recourt au poème alors que les marches semblent se dérober sous nos pieds. Je dis « nos pieds » et non « ses pieds », car cette écrivaine produit une poésie qui déborde largement le cadre limité de sa seule personne, ses préoccupations englobant notre collectivité. Pour filer la métaphore, et en admettant que la quête poétique soit ascendante, que l’escalier auquel réfère Devaux soit monté plutôt que descendu, nous pouvons dire que les mots en poésie, alors que s’évanouit le sens, servent à le réanimer, à le raffermir et à donner ainsi à nos existences une certaine stabilité. Quand tout dérape, au moment où nous risquons de perdre l’équilibre, nous parvenons à nous agripper à la rampe salutaire du poème pour ne pas sombrer tout à fait dans le désespoir.
Telle est l’aventure à laquelle nous convie Parme Ceriset. Le mot « résilience » est désormais à la mode, on l’emploie à toutes les sauces. Il exprime cependant très bien l’attitude, je dirais le stoïcisme dont font montre les poèmes de Flambeaux de vie. Ce sont des poèmes de résistance. Mais contrairement à la saine ou sainte colère à laquelle on associe habituellement la résistance, on ne trouve dans le discours de Ceriset qu’apaisement et réconciliation. Les fléaux qui sévissent, les guerres où l’humanité s’entredéchire ne semblent pas faire le poids sous le voile léger de l’espérance dont les recouvre la poète. Ses combats paraissent menés en toute sérénité. Comment le dire ? Sa parole manifeste une douce victoire sur les éléments déchaînés. Cette parole transcende la souffrance.
Les quarante poèmes de Flambeaux de vie ne révolutionnent sans doute pas l’univers du poème. Ils font mieux et davantage. Ils parlent à leur lecteur. Ils s’adressent à lui en toute simplicité, dans un langage qui jamais ne laisse le sens en suspens. Et c’est justement ce sens qui donne son prix aux poèmes de Ceriset, non que leur forme ne puisse être prise en considération et susciter l’approbation et le contentement du lecteur, au contraire. Certes, dans leur solide transparence, ces poèmes, tous parfaitement maîtrisés, dont la rythmique est sûre et les images toujours justes, ces poèmes dans leur relative pondération — aucun ne suscitant une radicale incompréhension — sont des poèmes dont la qualité formelle ne laisse nullement à désirer. Mais à cette qualité de forme s’ajoute son non moins juste appariement au propos de la poète. Ce sont des poèmes qui disent quelque chose de profondément significatif. Nous parlions plus haut d’urgence et de gravité. Il se trouve que le ton de ces poèmes est tout à fait adapté à cette gravité, il va de pair avec le message transmis par la poète.
On sourcillera peut-être à l’idée que la poésie puisse transmettre des messages. Eh bien ! j’ignorais pour ma part que les poètes parlaient pour ne rien dire. Parme Ceriset serait donc une exception de plus venant s’ajouter à la myriade des poètes qui depuis au moins Homère lestent leurs discours d’une charge de sens.
Comme pour Nora Atalla, dont la poésie, notamment dans La révolte des pierres, repose fortement sur des considérations d’ordre éthique, voire politique, on ne saurait reprocher à Parme Ceriset les nobles intentions qui l’animent. Sans en avoir la solide armature ni la solennité, ses écrits dans leur philosophie font songer à ceux de l’auteur de « La mort du loup ». Dans un cas comme dans l’autre, nous avons affaire à ce que l’on appelle de bons sentiments, lesquels n’ont pas toujours bonne presse chez les littéraires. Or, il n’est pas du tout certain, quoi qu’en aient pu penser Sartre ou Jeanson, que bonne littérature et bons sentiments ne puissent aller de pair. Louise Dupré, il y a quelque temps avec Exercices de joie, n’exprimait-elle pas de manière remarquable des positions analogues à celles exprimées dans Flambeaux de vie ? Dans son ouvrage, la poète québécoise œuvre elle aussi à l’avènement d’une aube ; sa parole est celle d’une résistante qui s’exprime sans hurlements. Cette retenue fait sa force.
Résister, faire valoir ses désaccords sans vraiment crier à tue-tête, aller même au-delà de la résistance si cela est possible, voilà ce qu’entreprend la poète de Flambeaux de vie. Son attitude à dire vrai est beaucoup plus positive que négative. Ses dénonciations en viennent presque à s’effacer derrière les louanges que la poète adresse à l’harmonie du Tout auquel elle aspire. La poète ose même l’utopie :
Construisons une arche suffisamment solide
pour y mettre à l’abri nos rêves les plus fous,
nos utopies, nos joies, nos rires
et tous les êtres que nous voulons sauver
des mâchoires de l’ombre,
une arche où tout ce qui compte pour nous
serait préservé de la destruction …
Cette arche est à jamais inaccessible
mais elle donne sens à nos ténèbres.
Voilà qui manifeste, nous en conviendrons, une certaine forme de lucidité. De toute évidence, nous ne parviendrons pas à tout préserver de la destruction. Cette arche demeure donc une utopie. Malgré tout, le recueil en son entièreté, du premier au dernier vers, exprime et réaffirme la primauté de l’espoir. On peut brandir des flambeaux de vie lorsque les ténèbres s’abattent sur nous. Ces flambeaux sont divers, mais c’est sous l’égide de l’Amour que chacun illumine. La poète use de la majuscule pour parler de l’Amour : « ce qui flambe dans les ténèbres » c’est « l’Amour ultime loi ».
Les flambeaux se déclinent de diverses manières, leur matière varie. Outre celui de l’Amour, il y a le « flambeau inextinguible de l’espoir », « le flambeau de l’altruisme vrai », ainsi que celui de « la liberté [qui] sera / ton plus beau flambeau. » Notons ici au passage la présence d’un interlocuteur : (ton), nous y reviendrons.
Finalement, tel celui de Dieu, nulle part nommé dans ce recueil, si ce n’est dans la majuscule du mot « Amour », il y a le flambeau qui rayonne dans le tout dernier poème, c’est le « flambeau du soleil [qui] brille au-dessus de nos têtes, / tu le connais bien … / C’est celui de la liberté. »
Évidemment, Dieu et la liberté ne sont pas une seule et même chose. Du reste, s’il est une forme de religion dans la poésie de Parme Ceriset, elle consiste en une alliance, en une volonté d’union, une espérance de communion à venir par laquelle se trouvera enfin préservée la vie sur Terre. Dans le dernier poème du recueil, la nature est personnifiée. « La Terre respire sous les caresses du vent », dans les vallons, « on hume la clarté des jours / et dans les brumes matinales la joie sereine des / rivières, / un doux breuvage d’éternité. » On rencontre dans ces vers et partout dans le recueil une indéniable spiritualité, une manière de panthéisme peut-être.
Flambeaux de vie nous met en présence d’une voix. Cette voix s’adresse à un interlocuteur anonyme. Il s’agit du « tu » rencontré plus haut. Le poème liminaire s’intitule « Va ! ». L’exclamation contenue dans le titre exprime un mouvement, comme si la poète exerçait une poussée dans le dos de cet interlocuteur. Elle recourt dans la majorité des poèmes à l’impératif. Elle enjoint son interlocuteur à l’action. « Va, lui dit-elle, / Marche au plus profond des ténèbres / entre les branchages et les ossements ». Puis, toujours dans ce poème liminaire, elle lui conseille d’aller « aux limites de l’être / danser avec les loups noirs ». Le dernier mot du poème est le mot « espoir » : « danse au nom de l’espoir. »
On identifiera d’emblée à la poète elle-même cette voix qui exhorte. On pourra croire au départ qu’elle se dédouble dans ce « tu » auquel elle s’adresse. Puis, l’on observera que ce « tu » est suivi d’accords au masculin. Ainsi, dans le très beau poème intitulé « La figue » : « En croquant dans une figue savoureuse / tu te souviendras parfois / que tu fus chassé d’Éden … »
La voix de ces poèmes, nous pouvons croire qu’elle s’adresse en fait au lecteur, que telle une mère à son jeune enfant, comme le père dans le célèbre poème de Kipling, celle-ci indique une voie à suivre : « Sois un fragment de constellation / une pépite d’Éden, / une étincelle / de passage /, mais infiniment brûlante. » Et ailleurs : « Sois chevalier veillant sur [la] pérennité [de la Terre] ».
Qu’est-ce qu’un poème, demandions-nous ?
La poète semble répondre à cette question dans le deuxième poème de son recueil. Un poème selon elle serait un acte prenant pour cible le hasard malveillant. Le poème est un emblème de l’espoir. Tout dans la quête poétique et spirituelle de Parme Ceriset est éminemment moral. Sa douce et juste parole pose un baume sur nos blessures et nous insuffle du courage.
Flambeaux de vie est un recueil qui projette sa lumière au milieu des ténèbres.
Ce hasard malveillant, prends-le pour cible,
convoque les ouragans et toutes tes forces
comme lorsque tu peins des poèmes
pour les jeter à la face livide du néant,
et crier à coups de pinceau
l’espoir, ton emblème.
Merci beaucoup cher Daniel. Au plaisir de te voir demain.
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«On sourcillera peut-être à l’idée que la poésie puisse transmettre des messages. Eh bien ! j’ignorais pour ma part que les poètes parlaient pour ne rien dire. Parme Ceriset serait donc une exception de plus venant s’ajouter à la myriade des poètes qui depuis au moins Homère lestent leurs discours d’une charge de sens.»
Je ressens toujours un plaisir délicat quand mon appréciateur préféré se permet une rare et subtile montée de lait, toujours pertinente bien sûr!
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Cher Laurent. Tu es là. Toujours présent. Tu ne serais que mon seul lecteur que je poursuivrais tout de même la rédaction de mes petites études. Entendre tes sons de cloche, ça me met de la joie au cœur. Merci.
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Merci Daniel.
J’ai beaucoup de retard en raison de la période estivale.
De ton côté, rien ne t’arrête. Des jeunes oseraient dire que tu es une «vraie machine»!
Bonne fin d’été.
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Profite des derniers beaux jours de l’été. À bientôt !
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