Geneviève Catta : La minute passe sur les épaules de ta voix : Poésie : Pierre Turcotte Éditeur : Collection Magma Poésie : 2022 : 92 pages

Pour peu que l’on s’intéresse à la poésie et à supposer que l’on fréquente les réseaux sociaux, le nom de Geneviève Catta ne peut que nous être familier. Cette écrivaine est animée par un vibrant amour de la littérature ; elle anime des ateliers littéraires, s’affaire à alimenter un blogue d’écriture (Les mots, la vie) et partage régulièrement ses poèmes sur Facebook. La minute passe sur les épaules de ta voix est son deuxième livre. Il fait suite à Souffles avant, un recueil de nouvelles parus en 2021 aux Éditions Le Lys Bleu.

Il entre beaucoup de fantaisie dans la manière de Geneviève Catta. Souffles avant faisait montre d’inventivité. Même dans la gravité, la nouvelliste excellait à dire les choses sans jamais dramatiser, avec une fine pointe d’humour, non sans une légèreté insufflant à sa prose une certaine dose d’optimisme. C’est du moins la perception qu’il m’est resté de cette lecture. De même, les poèmes qu’elle publie ordinairement sont-ils rafraîchissants, curieux, étonnants pour ne pas dire savoureux et séduisants.

Ceux qui composent le recueil montrent, me semble-t-il, une autre facette de l’univers poétique de l’écrivaine. Ils ne sont pas moins réussis ; l’imagination, cette faculté maîtresse à l’œuvre partout chez Catta, n’en est pas exclue, mais elle s’engage sur un tout autre terrain que celui où nous convie habituellement l’écrivaine sur son blogue. À dire vrai, il me faudrait sans doute ici nuancer mon propos. Je n’ai pas suffisamment arpenté « Les mots, la vie » pour avancer que tout y est affaire de lumière et de joie. Une chose est certaine cependant, le recueil dont il est ici question est plutôt sombre ; c’est qu’il fait état d’un naufrage amoureux. Il s’écrit d’abord au milieu de la nuit, pour s’achever plus heureusement dans ce que François Cheng, cité par la poète, appelle « la fraîcheur du matin du monde. » Telles sont d’ailleurs les derniers mots de l’ouvrage.

C’est également à ce poète que l’on doit les tout premiers, extraits comme tous les autres exergues du recueil de ses Cinq méditations sur la beauté. Un brin formaliste, pour ne pas dire rigoureuse, la poète comme pour faire écho au chiffre du titre a donné la parole au maître à cinq reprises, le citant au début de chacune des parties de son recueil, puis, comme mentionné, à la toute fin. Je laisse aux lecteurs et lectrices le soin de découvrir les liens unissant ces citations aux poèmes et à la démarche de l’auteure.

Le chant premier du recueil commence par les vers suivants : « il n’y a plus / ni nuit / ni aube ». Je le mentionne afin de souligner une fois de plus la cohérence structurelle de l’ensemble, le recueil se terminant, on s’en souviendra, par l’affirmation de la lumineuse manifestation du matin. Comment ne pas penser ici au plus récent recueil de Hélène Harbec ? Dans un style fort différent de celui de Geneviève Catta, elle signe également un ouvrage portant sur le deuil amoureux. Je l’indique en raison de la présence de Cheng en exergue de son ouvrage. Je cite : « Consens à la brisure, c’est là / Que germera ton trop plein / De crève-cœur, que passera / Un jour, hors de l’attente, la brise. » Justement, la brise du matin, celle du renouveau que l’on voit à l’œuvre dans le recueil de madame Catta.

La minute passe sur les épaules de ta voix est un recueil qui renferme de très beaux poèmes, où le chagrin est rarement exprimé de manière convenue, où le verbe est la plupart du temps retrempé aux sources les plus vives de l’inventivité poétique. Dans la présentation de l’auteure, l’éditeur mentionne le caractère charnel « et résolument moderne » de la plume de Geneviève Catta. Force est de lui donner raison, tout en ajoutant le bémol d’une inscription certaine dans la tradition poétique telle qu’on la retrouve à la fois chez les anciens et les modernes. L’amour est une affaire de cœur. Dans le lexique des poèmes d’amour se rencontrent des mots et des métaphores qui vont de soi, tout moderne que l’on soit : « j’offre mon cœur ». Pourquoi s’interdirait-on pareil langage ?  

Or l’éditeur, dans cette présentation, dit surtout ceci, à quoi je souscris entièrement : « Dans sa poésie, elle cueille l’impression des mots, s’attarde aux couleurs que ceux-ci révèlent sur les ‘‘ choses de la vie ’’. » Poète de la synesthésie, de l’extrême sensibilité aux liens unissant les mots aux « choses de la vie », Catta est une merveilleuse poète de la sensualité. Partout dans ses poèmes se retrouve l’attentive appétence qui consiste à tenter de saisir par les pouvoirs du langage la nature de ce qui « est », afin de donner corps à toutes choses dans le poème. Il y a énormément de sensualité dans la manière de Catta, pas uniquement dans ses propos, quoique nul ici ne soit leste, bien que les corps en viennent à s’étreindre dans le feu d’une passion qui cependant finit dès le début du recueil par s’éteindre. Or ce n’est pas tant de cette sensualité qu’il s’agit, c’est plutôt de celle dont parle l’éditeur lorsqu’il évoque « l’impression des mots »   et la primauté accordée à leurs couleurs. Dans le rendu, celui des mots, la poète se montre finement attentive aux objets, aux phénomènes physiques et immatériels qui l’entourent. Elle a, je l’ai dit, le sens de la formule inventive, si bien que les jeux de langage sans gratuité aucune miroitent chez elle de façon impressionniste. La beauté du monde est alors bellement rendue. Du reste, et ce recueil en témoigne grandement, cette poète parvient à dire tout aussi bellement les graves duretés qui l’accablent.

ma cicatrice faiblit
et laisse la chair l’envahir
comme la tache
sur la nappe

pourquoi faut-il
que quelque chose
reste toujours
derrière soi

ou est-ce moi
qui respire encore
l’odeur de pomme mûre
de ta peau

On m’a fait remarquer récemment que mon travail de lecteur entretient peu de liens véritables avec la vraie critique littéraire. Je ne m’y montre pas suffisamment sévère. On m’a alors gratifié du titre plutôt sympathique d’« appréciateur ». Voilà qui est assez bien trouvé, puisque, en effet, dans ce que j’appelle mes « petites études », je tente principalement de mettre en évidence les particularités objectives des ouvrages que je recense. Mon but est de rendre manifestes leur propos et leur manière. Si je trouve çà et là des scories, je laisse aux autres le soin de les découvrir. Cependant, je crois qu’il est important de rappeler un principe de base. Il concerne la correction orthographique. Les coquilles sont pardonnables, si elles n’abondent pas dans un ouvrage. Mais les fautes d’orthographe le sont moins. Elles sont inévitables lorsqu’on est au stade du manuscrit. Elles relèvent souvent de la distraction. L’auteur est absorbé par ce qu’il écrit, par le tout qu’il produit ; des petits détails peuvent lui échapper. S’il doit veiller au grain, l’éditeur doit également y mettre du sien, s’adjoindre les services d’un correcteur d’épreuves ou à tout le moins recourir à un logiciel de correction.

Pierre Turcotte Éditeur est un nouveau venu qui propose de nouveaux auteurs. Accueillons-le à bras ouverts. Il mérite toutes nos félicitations. Il n’en méritera pas moins le jour où il présentera des ouvrages plus soignés. 

Cela dit, terminons en beauté. Laissons la parole à la poète.

aurai-je dû attendre
avant de ranger le couvert
je ne te vois pas
parmi les ombres courbes
l’amour s’émiette-t-il

je suis naine
face aux saisons futures
et le bleu s’accroche à la lampe
comme un mensonge
qui subsiste

la nuit tangue
j’ai demandé au hibou
comment l’affronter
mais il rit
et agite ses aigrettes

Auteur : Daniel Guénette

Écrivain québécois. Publie ouvrages de poésie (dont Varia au Noroît) et romans (Dédé blanc-bec, etc. à La Grenouillère). Ai enseigné la littérature au niveau collégial. À la retraite depuis 2011. Me consacre à des lectures dont je rends compte sur mon blogue : Blog de Dédé blanc-bec : 4476:HOME:BOLG Notice biographique (voir L'Île : litterature.org) Daniel Guénette est né le 21 mai 1952. Il est originaire de Montréal. Il a vécu son enfance et la majeure partie de son existence dans l’arrondissement de Saint-Laurent. Après des études en lettres à l’Université de Montréal, où il obtient un diplôme de maîtrise en création littéraire, il enseigne la littérature au cégep de Granby. En 2011, il prend sa retraite après 34 années d’enseignement. À l’aube de la soixantaine, il renoue avec l’écriture qu’il avait cessé de pratiquer durant près de vingt ans. Il produit alors deux recueils de poésie (Traité de l’Incertain en 2013, Carmen quadratum en 2016) et un récit (L’École des Chiens, en 2015). Dans son œuvre antérieure alternaient ouvrages de poésie (3 titres au Noroît, 2 chez Triptyque) et productions romanesques (3 titres chez Triptyque). Ces ouvrages furent publiés entre 1985 et 1996. L’ensemble fut bien reçu par la critique. À l’occasion du vingtième anniversaire des éditions Triptyque, feu Réginald Martel écrivait : « Et on soupçonne que bien des éditeurs seraient ravis d’inscrire à leur catalogue, parmi quelques auteurs de Triptyque, le nom d’un Daniel Guénette, par exemple. » J. Desraspes a enchanté Jean-Roch Boivin : « Ce roman est un délicieux apéritif, robuste et délicat, son auteur un écrivain de talent et de grands moyens. » Réginald Martel parle d’un roman « qu’on dévore sans reprendre son souffle » ; il salue également la parution des romans qui suivent, se montrant surtout favorable à L’écharpe d’Iris. Pierre Salducci écrit dans Le Devoir un article très élogieux sur ce roman : « L’écharpe d’Iris est une réussite, une petite musique qui nous parle de la nature humaine et qu’on n’arrive pas à oublier. Un roman magnifique, un vrai. Pas un phénomène de mode. Pas un produit branché et périssable. Mais de la littérature. Tout simplement. » L’École des Chiens, qui en 2013 marque le retour de l’auteur au récit, a été commentée de manière positive par divers blogueurs, dont le poète Jacques Gauthier, sur Blogues Église catholique à Montréal : « Ce beau récit du poète Daniel Guénette évoque, avec pudeur et humilité, les onze années vécues auprès de Max qu’il a dû faire euthanasier à cause d’un cancer. Ils sont rares de tels livres qui traitent si tendrement de la relation entre un homme et son animal de compagnie. Ça parle de vie et de mort, d’attachement et d’amitié, d’enfance et de solitude. » Pour sa part, Topinambulle écrit : « Dans ce très beau récit, un homme apprivoise doucement le deuil de son chien. À la manière de Rousseau, Daniel Guénette nous invite à le suivre dans ses promenades, dans les méandres de ses souvenirs, où l'évocation de l'ami fidèle nous servira de guide. »). Dominic Tardif, dans le Devoir, 4 juillet 2015, a rendu compte chaleureusement de ce récit. Il a souligné qu’avec ce dernier, l’auteur avait produit « de la vraie littérature » : « Plus qu’un livre sur un maître et son animal, L’école des chiens célèbre le pouvoir de l’écriture qui, chez Daniel Guénette, n’aspire pas à remplacer l’en allé, mais bien à en continuer la vie. » Recommandé avec enthousiasme à ses téléspectateurs, ce récit a fait l’objet d’un échange de cadeaux à l’émission LIRE présentée sur ARTV. À partir de 1975, l’auteur a collaboré à diverses revues de littérature à titre de poète et de critique. On peut lire ses plus récentes recensions dans la revue Mœbius. Pour l’une d’elles, l’auteur a été finaliste au Prix d’excellence de la SODEP 2016, dans la catégorie Texte d’opinion critique sur une œuvre littéraire ou artistique.

12 réflexions sur « Geneviève Catta : La minute passe sur les épaules de ta voix : Poésie : Pierre Turcotte Éditeur : Collection Magma Poésie : 2022 : 92 pages »

  1. Très bon commentaire, pertinent sur toute la ligne! J’ai communiqué à Geneviève Catta les fautes que j’avais relevées, moi aussi, dans ma lecture. J’en ai relevé quatre. Sans doute les mêmes. C’est dommage, car c’est un beau recueil, comme tu le soulignes, un livre amoureux. Je l’ai beaucoup aimé, comme j’ai apprécié ton commentaire fort généreux. Tu es toujours admirable, Daniel Guénette!

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    1. Cher ami, j’ai hésité à parler de ces fautes, mais il m’a semblé pertinent de le faire. Une nouvelle maison de poésie doit mettre toutes les chances de son côté en offrant à ses auteur(e)s les conditions favorables à l’exposition de leur talent. La maison gagne alors en crédibilité et les auteur(e)s qui ne font pas partie de son « écurie » la considèrent d’un bon œil. Ils peuvent songer à frapper à sa porte. Geneviève a écrit de beaux poèmes. Cela, je tenais à le dire.

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  2. Merci, cher Daniel, pour la finesse toujours aussi généreuse (j’emploie ce mot au sens de prodigalité et de richesse et non de bonté) et si soigneux de ton regard. Tu qualifies ma poésie de synesthésique, cela me touche profondément. Ce que j’ai toujours perçu comme un défaut est en réalité pour ce qui me concerne, ma « griffe » de musicienne depuis l’enfance, et maintenant d’écrivaine. Je t’en remercie; et prends acte de tes observations sur les fautes d’orthographe. Pour un auteur c’est tout à fait inacceptable.

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  3. Votre description des écrits de Geneviève sont à ce point exact que l’on dirait que vous la connaissez personnellement !!!
    Je suis élève de Mme. Catta et dès le premier cours elle nous transporte dans son monde tel un aimant qui attire ses métaux! !!! Son charisme positif et enjoué est aussi rempli d’empathie, de sensibilité d’humanisme, de fous- rires et du sens de l’organisation. Son écriture succincte nous met au défi de comprimer la nôtre tout en mettant l’essentiel !!! Son essentiel : les émotions qu’elle nous montre à exprimer avec des exercices où les 5 sens sont mis de l’avant !!! E Geneviève travaille avec des images, des nébuleuses, des extraits des recueils et bien d’autres choses !!! Elle nous transmet sa passion en étant un exemple !!! Sa simplicité et sa liberté nous décomplexe laissant libre cours à notre sensualité et nos émotions !!! Elle ne cherche pas à nous changer mais développer notre sens littéraire et l’amour des mots. À travers l’œuvre de Geneviève Catta je retiens une grande sensibilité, sa merveilleuse façon de transmettre ses émotions en peu de mots mais toujours justes et ses écrits spontanés et sublimes !!!

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    1. J’ai eu le plaisir de rencontrer Geneviève à deux reprises. Son sourire est contagieux. Elle est pétillante ; je ne doute pas le moins du monde de l’influence très positive qu’elle a sur ceux et celles qui participent à ses ateliers. Les poèmes de son recueil et ceux qu’elle publie sur Facebook ne pourraient être écrits que par elle. Geneviève est dotée d’une créativité fort originale.

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