Christophe Condello : Entre l’être et l’oubli : Poésie : Pierre Turcotte éditeur : 2021 : 76 pages

Le propre des nouvelles maisons d’édition est de souvent faire entendre de nouvelles voix. La maison de Pierre Turcotte n’est pas nouvelle en soi, mais elle l’est pour moi, sans doute également pour d’autres qui grâce à elle découvrent depuis quelque temps ou découvriront sous peu de nouveaux écrivains ou des écrivains à tout le moins qu’ils ne connaissent pas. Christophe Condello n’est pas le premier venu. Il publie des ouvrages de poésie depuis plus de vingt ans. Il a fait paraître des recueils au Noroît, au Loup de gouttière, aux Éditions du Cygne ainsi que chez Éclats d’encre. Son implication dans le domaine de la poésie d’ici et d’ailleurs est impressionnant. Pour s’en faire une idée, on jettera un coup d’œil à son blogue poétique : htpp://christophecondello.wordpress.com/  

Si Condello sert si bien les œuvres de ses pairs, son apport à la poésie serait tout de même appréciable lors même qu’il se limiterait à ses propres œuvres. Entre l’être et l’oubli est un recueil où le poète donne, me semble-t-il, sa pleine mesure, non qu’il nous en mette plein la vue ; au contraire, son art est d’une grande sobriété, tout en finesse, éloigné du bruit et de la fureur, proche du murmure et de la méditation.

Lire ce recueil, c’est accompagner le poète dans sa quête toute spirituelle, quoique incarnée profondément dans la matière du monde réel, dans l’espace physique où le voici en marche. Telle est la figure, la métaphore filée de la traversée, des pas avançant sur le sentier. Laissant des empreintes comme le suggère le titre de la première partie du recueil, qui en compte deux : « Empreinte ». Il s’agit ici de la nôtre, de l’empreinte que nous laissons à l’occasion de notre passage sur la Terre, mais il s’agit également de celle de nos ancêtres immémoriaux.

Autant le mentionner immédiatement, les poèmes de Condello laissent toute la place à la collectivité, à l’humanité tout entière et non pas à sa seule personne. Autrement dit, Condello ne parle pas de lui, il nous parle plutôt de nous, de notre aventure humaine, laquelle aventure dans le cosmos englobe l’ensemble du vivant, ne serait-ce qu’en raison des liens unissant entre eux les êtres animés et la matière physique où ils évoluent. Le poète pour autant n’est pas absent de son œuvre, il y figure en tant que conscience à même de fixer des constats et surtout d’interroger le sens de notre démarche.

Pas de « je », mais en priorité la première personne du pluriel, celle qui justement ouvre la marche du recueil. Voici son tout premier poème.

Nous sommes venus
dans ce pays
comme un caillou qui ricoche
sur l’eau illuminée
d’un lac sous la lune

les yeux ouverts
à l’espérance

le souffle inspiré

en quête de notre histoire

avant de nous immerger
lentement
au plus profond du cœur
immense
de l’autre

Tout commence ici par une migration. On pourrait croire que le poète, usant du pluriel de majesté, étant animé par une humilité le prédisposant à éviter le « je », évoque sa propre histoire. Lui qui est né à Grenoble est venu vivre au Québec. Une telle interprétation serait pertinente, mais à mon sens elle serait limitative. Il convient de l’élargir à tous ceux et celles qui ont fait de même, qui ont quitté leur pays d’origine afin de venir vivre ici « dans ce pays » qui est le nôtre, le Québec, lequel les aurait accueillis avec bienveillance « au plus profond [de son] cœur / immense ». Cette seconde interprétation me semble plus pertinente, mais elle ne me convainc pas tout à fait. La suite du recueil incite à penser que l’interprétation la plus juste doit élargir davantage la portée de ce poème, donnant alors un sens quasi métaphysique à la migration dont parle Condello tout au long de son recueil. Le pays dont parle le poète est en quelque sorte un avant-pays, un avant-poste, un espace d’où prendre son élan afin de rejoindre, en poursuivant notre marche, cet autre lieu qui est celui d’une utopie advenue à elle-même. Dans le poème qui suit, le poète précise que l’objet de la quête n’est rien moins que le soleil. Plus loin, il affirme que « chaque pas / nous rapproche / de la fin et d’un avènement » qui, si je comprends bien, coïncidera avec ce lieu bien ancien dont nous fûmes exclus, celui où règne « la chaleur / ensevelie de l’enfance ».

À toute affirmation correspond un refus. Qui appelle le bleu du ciel cherche à « fuir les ombres / des ruelles et des âmes ». Le poète écrit : « nous ne voulons plus / nous habiller / de parures et d’illusions ». Hélas ! « nous faisons si peu / de lueur / sous ce ciel ».

Ce recueil où à maintes reprises s’interroge le poète (« Que restera-t-il / de ce qui nous manque ») marque des avancées dans la lumière. Il y est question des « sentiers touffus / qui nous mènent // dans l’absolu ». Le trajet ne correspond pas à une simple randonnée, à une innocente balade à travers une campagne toute sereine. Lisons ceci :

Un visage
d’intempérie
s’efface
sous les flots

descend
dans son propre vide
au risque
de ne pas revenir

pourquoi
le vertige et la lumière

dans nos yeux
referaient-ils surface

Le périple que nous accomplissons avec le poète ne se fait pas sans reculs, sans pertes de ce qui au fil du temps s’acquière pour aussitôt se déliter. De toutes parts menacent les gouffres. Néanmoins, une espérance nous garde vivants. Nous sommes en marche, notre but est « un lieu qui inaugure » ; la lumière qui nous inondera sera celle d’« une aube unitaire / qui n’a pas de couchant ».

Maints poèmes du recueil me font songer à la démarche d’un Fernand Ouellette. Ce n’est pas peu dire. Je songe au propos de Condello, à cette espérance dont il a été question plus haut, et notamment à des vers comme les suivants : « révélant la lumière / matinale / des anges », « des ailes / redessinent nos épaules ». Par ailleurs, le « bleu », qui est chez Ouellette davantage qu’une simple image, se retrouve aussi chez Condello. Avec une même ferveur. Ce rapprochement, me semble-t-il, est tout à l’honneur de l’auteur d’Entre l’être et l’oubli.

Auteur : Daniel Guénette

Né le 21 mai 1952, Daniel Guénette est originaire de Montréal. Il a vécu la majeure partie de son existence dans l’arrondissement de Saint-Laurent. Après des études en lettres à l’Université de Montréal, où il obtient un diplôme de maîtrise en création littéraire, il enseigne la littérature au cégep de Granby. En 2011, il prend sa retraite après 34 années d’enseignement. À l’aube de la soixantaine, il renoue avec l’écriture qu’il avait cessé de pratiquer durant près de vingt ans. Il publie chez Triptyque deux recueils de poésie, Traité de l’Incertain en 2013 et Carmen quadratum en 2016, ainsi qu’un récit, L’École des Chiens, en 2015. Dans son œuvre antérieure alternaient ouvrages de poésie (3 titres au Noroît, 2 chez Triptyque) et productions romanesques (3 titres chez Triptyque). Ces ouvrages furent publiés entre 1985 et 1996. L’ensemble fut bien reçu par la critique. À l’occasion du vingtième anniversaire des éditions Triptyque, feu Réginald Martel écrivait : « Et on soupçonne que bien des éditeurs seraient ravis d’inscrire à leur catalogue, parmi quelques auteurs de Triptyque, le nom d’un Daniel Guénette, par exemple. » J. Desraspes a enchanté Jean-Roch Boivin : « Ce roman est un délicieux apéritif, robuste et délicat, son auteur un écrivain de talent et de grands moyens. » Réginald Martel parle d’un roman « qu’on dévore sans reprendre son souffle » ; il salue également la parution des romans qui suivent, se montrant surtout favorable à L’écharpe d’Iris. Pierre Salducci écrit dans Le Devoir un article élogieux sur ce roman : « L’écharpe d’Iris est une réussite, une petite musique qui nous parle de la nature humaine et qu’on n’arrive pas à oublier. Un roman magnifique, un vrai. Pas un phénomène de mode. Pas un produit branché et périssable. Mais de la littérature. Tout simplement. » L’École des Chiens, qui en 2015 marque le retour de l’auteur au récit, a été commentée par divers blogueurs, dont le poète Jacques Gauthier : « Ce beau récit du poète Daniel Guénette évoque, avec pudeur et humilité, les onze années vécues auprès de Max qu’il a dû faire euthanasier à cause d’un cancer. Ils sont rares de tels livres qui traitent si tendrement de la relation entre un homme et son animal de compagnie. Ça parle de vie et de mort, d’attachement et d’amitié, d’enfance et de solitude. » Pour sa part, Topinambulle écrit : « Dans ce très beau récit, un homme apprivoise doucement le deuil de son chien. À la manière de Rousseau, Daniel Guénette nous invite à le suivre dans ses promenades, dans les méandres de ses souvenirs, où l'évocation de l'ami fidèle nous servira de guide. ». Dominic Tardif, dans Le Devoir, 4 juillet 2015 a rendu compte chaleureusement de L’école des chiens. Il a souligné qu’avec ce récit, l’auteur avait produit « de la vraie littérature » : « Plus qu’un livre sur un maître et son animal, L’école des chiens célèbre le pouvoir de l’écriture qui, chez Daniel Guénette, n’aspire pas à remplacer l’en allé, mais bien à en continuer la vie. » Recommandé avec enthousiasme à ses téléspectateurs, L’école des chiens a fait l’objet d’un échange de cadeaux à l’émission LIRE présentée sur ARTV. À partir de 1975, l’auteur a collaboré à diverses revues de littérature à titre de poète et de critique. On a pu lire ses recensions dans la revue Mœbius. Pour l’une d’elles, l’auteur a été finaliste au Prix d’excellence de la SODEP 2016, dans la catégorie Texte d’opinion critique sur une œuvre littéraire ou artistique. Plus récemment, l’auteur a publié deux nouveaux titres en poésie, Varia au Noroît en 2018 et, à l’hiver 2023, La châtaigneraie aux Éditions de la Grenouillère. Pour ce recueil, le poète a été finaliste au Prix d’excellence du webmagazine La Métropole. Dans la recension que réserve à cet ouvrage la revue LQ, le critique Antoine Boisclair écrit: « Ce recueil émouvant, très maîtrisé du point de vue formel, témoigne d’un savoir-faire indéniable. » Le critique et poète français Pierre Perrin écrit dans sa revue trimestrielle de littérature, la revue française « Possibles », ne pas confondre avec la revue québécoise du même nom : « Daniel Guénette a le vers sûr, souvent proche de l’alexandrin, parfois très bref. Il sait restituer une vie, avec sa foudre, ses éclairs, et les moments de calme, voire de communion. La Châtaigneraie constitue un beau recueil presque filial. » Pour sa part, dans Le Ou'tam’si magazine, Nathasha Pemba déclare que « La châtaigneraie est un recueil de poésie qui a l’allure d’un hommage, d’un renouvellement du contrat amical. C’est une poésie ontologique qui va au fond des choses pour faire émerger l’être. Daniel Guénette une fois plus confirme qu’il est poète, le poète de l’amitié, le poète de l’altérité, le poète de l’éternité. » Outre ces recueils de poésie, l’auteur fait paraître quelques nouveaux romans. De Miron, Breton et le mythomane, paru en 2017 à La Grenouillère, Dominic Tardif écrit dans Le Devoir : « Chronique des glorioles imaginaires d’un grand taquin aimant (se) conter des histoires et fabuler une légendaire vie d’aventures, Miron, Breton et le mythomane est le carton d’invitation d’une fête organisée en l’honneur du mensonge auquel s’abreuve n’importe quelle forme de littérature digne de ce nom. » Pour sa part, Dédé blanc-bec reçoit dans Nuit Blanche un commentaire signé Gaétan Bélanger : « Le ton poétique empreint d’humour et de nostalgie adopté par l’auteur rend extrêmement agréable la lecture de ce roman émouvant. Il faut préciser que, tout d’abord, il est un peu déroutant de suivre les bonds fréquents de la narration dans le temps. Plus que de simples digressions, elles donnent parfois l’impression que l’auteur saute du coq à l’âne pour revenir aux mêmes événements, observés sous un angle différent. Mais on s’habitue vite à cette manière ou à ce style et on l’apprécie pour son originalité. Voilà donc un roman au texte minutieusement poli et se démarquant par sa qualité et son audace. » Vierge folle est le dernier roman de l’auteur. La recension parue dans Culture Hebdo se termine avec ces mots : « Nous vous laissons le soin de découvrir la conclusion. Excellent, est un euphémisme. On a adoré. » Ce roman, sans doute le meilleur de l’auteur, s’il a suscité l’enthousiasme de ses lecteurs n’a guère fait l’objet de recensions sérieuses. Pour des recensions sérieuses, il aura fallu attendre l’hiver 2023. Au billet d’Antoine Boisclair portant sur La châtaigneraie, se sera ajoutée dans Le Devoir une chronique de Louis Cornellier consacrée non pas à un roman ou un recueil, mais à un essai. Le journaliste y salue d’abord le travail entrepris par l’écrivain sur son blogue : « Fin lecteur de poésie, l’écrivain s’y impose comme un critique raffiné, érudit et amical dont le style, limpide et élégant, s’apparente à celui de la conversation relevée. Ces qualités en font une rareté dans le paysage littéraire québécois. » Puis, il rend compte de l’essai : « Dans Le complexe d’Orphée (Nota bene, 2023, 186 pages), l’écrivain se fait plus essayiste que critique en proposant « une manière de promenade » dans laquelle il tente « de saisir la nature de la poésie ». Fidèle à son approche modeste et exploratoire, il déambule en compagnie des poètes et penseurs qu’il aime afin de délimiter son objet, tout en cultivant le souci de ne pas l’enfermer. » Il conclut sa chronique en ces termes : « Partisan des « poèmes limpides » qui disent de « simples vérités », Guénette trouve dans la poésie un antidote « à l’endormissement de [ses] facultés » ou, comme l’écrit Valéry, un discours « chargé de plus de sens, et mêlé de plus de musique, que le langage ordinaire n’en porte et n’en peut porter ». Fénelon aurait aimé ce livre admirable. » La conclusion de l’article d’Antoine Boisclair portant sur La châtaigneraie était elle aussi plutôt réjouissante : « Romancier accompli (son dernier récit, Vierge folle, est paru en 2021 aux éditions de La Grenouillère), critique littéraire important (son blogue, intitulé Dédé blanc-bec, offre des comptes rendus très étoffés sur des publications québécoises), Daniel Guénette est aussi un poète qui mérite toute notre attention. »

4 réflexions sur « Christophe Condello : Entre l’être et l’oubli : Poésie : Pierre Turcotte éditeur : 2021 : 76 pages »

  1. Merci cher Daniel pour tes yeux si sensibles sur mes mots. Tu le sais sûrement, certains gestes sont parfois d’une grande importance. Aujourd’hui en particulier, ton regard bienveillant apporte une douceur essentielle à ma journée. Je t’adresse donc avec gratitude mes remerciemnents les plus sincères.

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