
Le propre des nouvelles maisons d’édition est de souvent faire entendre de nouvelles voix. La maison de Pierre Turcotte n’est pas nouvelle en soi, mais elle l’est pour moi, sans doute également pour d’autres qui grâce à elle découvrent depuis quelque temps ou découvriront sous peu de nouveaux écrivains ou des écrivains à tout le moins qu’ils ne connaissent pas. Christophe Condello n’est pas le premier venu. Il publie des ouvrages de poésie depuis plus de vingt ans. Il a fait paraître des recueils au Noroît, au Loup de gouttière, aux Éditions du Cygne ainsi que chez Éclats d’encre. Son implication dans le domaine de la poésie d’ici et d’ailleurs est impressionnant. Pour s’en faire une idée, on jettera un coup d’œil à son blogue poétique : htpp://christophecondello.wordpress.com/
Si Condello sert si bien les œuvres de ses pairs, son apport à la poésie serait tout de même appréciable lors même qu’il se limiterait à ses propres œuvres. Entre l’être et l’oubli est un recueil où le poète donne, me semble-t-il, sa pleine mesure, non qu’il nous en mette plein la vue ; au contraire, son art est d’une grande sobriété, tout en finesse, éloigné du bruit et de la fureur, proche du murmure et de la méditation.
Lire ce recueil, c’est accompagner le poète dans sa quête toute spirituelle, quoique incarnée profondément dans la matière du monde réel, dans l’espace physique où le voici en marche. Telle est la figure, la métaphore filée de la traversée, des pas avançant sur le sentier. Laissant des empreintes comme le suggère le titre de la première partie du recueil, qui en compte deux : « Empreinte ». Il s’agit ici de la nôtre, de l’empreinte que nous laissons à l’occasion de notre passage sur la Terre, mais il s’agit également de celle de nos ancêtres immémoriaux.
Autant le mentionner immédiatement, les poèmes de Condello laissent toute la place à la collectivité, à l’humanité tout entière et non pas à sa seule personne. Autrement dit, Condello ne parle pas de lui, il nous parle plutôt de nous, de notre aventure humaine, laquelle aventure dans le cosmos englobe l’ensemble du vivant, ne serait-ce qu’en raison des liens unissant entre eux les êtres animés et la matière physique où ils évoluent. Le poète pour autant n’est pas absent de son œuvre, il y figure en tant que conscience à même de fixer des constats et surtout d’interroger le sens de notre démarche.
Pas de « je », mais en priorité la première personne du pluriel, celle qui justement ouvre la marche du recueil. Voici son tout premier poème.
Nous sommes venus
dans ce pays
comme un caillou qui ricoche
sur l’eau illuminée
d’un lac sous la lune
les yeux ouverts
à l’espérance
le souffle inspiré
en quête de notre histoire
avant de nous immerger
lentement
au plus profond du cœur
immense
de l’autre
Tout commence ici par une migration. On pourrait croire que le poète, usant du pluriel de majesté, étant animé par une humilité le prédisposant à éviter le « je », évoque sa propre histoire. Lui qui est né à Grenoble est venu vivre au Québec. Une telle interprétation serait pertinente, mais à mon sens elle serait limitative. Il convient de l’élargir à tous ceux et celles qui ont fait de même, qui ont quitté leur pays d’origine afin de venir vivre ici « dans ce pays » qui est le nôtre, le Québec, lequel les aurait accueillis avec bienveillance « au plus profond [de son] cœur / immense ». Cette seconde interprétation me semble plus pertinente, mais elle ne me convainc pas tout à fait. La suite du recueil incite à penser que l’interprétation la plus juste doit élargir davantage la portée de ce poème, donnant alors un sens quasi métaphysique à la migration dont parle Condello tout au long de son recueil. Le pays dont parle le poète est en quelque sorte un avant-pays, un avant-poste, un espace d’où prendre son élan afin de rejoindre, en poursuivant notre marche, cet autre lieu qui est celui d’une utopie advenue à elle-même. Dans le poème qui suit, le poète précise que l’objet de la quête n’est rien moins que le soleil. Plus loin, il affirme que « chaque pas / nous rapproche / de la fin et d’un avènement » qui, si je comprends bien, coïncidera avec ce lieu bien ancien dont nous fûmes exclus, celui où règne « la chaleur / ensevelie de l’enfance ».
À toute affirmation correspond un refus. Qui appelle le bleu du ciel cherche à « fuir les ombres / des ruelles et des âmes ». Le poète écrit : « nous ne voulons plus / nous habiller / de parures et d’illusions ». Hélas ! « nous faisons si peu / de lueur / sous ce ciel ».
Ce recueil où à maintes reprises s’interroge le poète (« Que restera-t-il / de ce qui nous manque ») marque des avancées dans la lumière. Il y est question des « sentiers touffus / qui nous mènent // dans l’absolu ». Le trajet ne correspond pas à une simple randonnée, à une innocente balade à travers une campagne toute sereine. Lisons ceci :
Un visage
d’intempérie
s’efface
sous les flots
descend
dans son propre vide
au risque
de ne pas revenir
pourquoi
le vertige et la lumière
dans nos yeux
referaient-ils surface
Le périple que nous accomplissons avec le poète ne se fait pas sans reculs, sans pertes de ce qui au fil du temps s’acquière pour aussitôt se déliter. De toutes parts menacent les gouffres. Néanmoins, une espérance nous garde vivants. Nous sommes en marche, notre but est « un lieu qui inaugure » ; la lumière qui nous inondera sera celle d’« une aube unitaire / qui n’a pas de couchant ».
Maints poèmes du recueil me font songer à la démarche d’un Fernand Ouellette. Ce n’est pas peu dire. Je songe au propos de Condello, à cette espérance dont il a été question plus haut, et notamment à des vers comme les suivants : « révélant la lumière / matinale / des anges », « des ailes / redessinent nos épaules ». Par ailleurs, le « bleu », qui est chez Ouellette davantage qu’une simple image, se retrouve aussi chez Condello. Avec une même ferveur. Ce rapprochement, me semble-t-il, est tout à l’honneur de l’auteur d’Entre l’être et l’oubli.

Merci cher Daniel pour tes yeux si sensibles sur mes mots. Tu le sais sûrement, certains gestes sont parfois d’une grande importance. Aujourd’hui en particulier, ton regard bienveillant apporte une douceur essentielle à ma journée. Je t’adresse donc avec gratitude mes remerciemnents les plus sincères.
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Je n’avais pas vu ce message. Merci Christophe pour tes bons mots.
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