Ada Bessomo : Le monde virait au bleu : Poésie : Éditions Shanaprod : 2021 : 90 pages

Il y a quelque temps déjà, l’on me faisait parvenir ce troisième recueil d’Ada Bessomo. Aux éditions Shanaprod où il est publié, l’on se montrait curieux de savoir ce que pouvait en penser un Québécois. Ada Bessomo est né au Cameroun et il vit actuellement en France.

La France est proche du Québec, jusqu’à un certain point. Et jusqu’à un certain point, nos traditions littéraires s’embrassent, se confondent un tant soit peu. Une Denise Desautels était récemment accueillie dans la prestigieuse collection de poésie des Éditions Gallimard. Évidemment, la circulation des biens culturels entre le Québec et la France s’est longtemps faite en sens unique, du grand pays à sa périphérie, plutôt que de l’ancienne petite colonie à la mère patrie.

C’est assez récemment que le Cameroun a quitté le giron français. Je présume que sur le plan culturel, la France a pu exercer sur ce pays des attraits similaires à ceux que nous avons longtemps connus et connaissons encore dans une certaine mesure. Quoi qu’il en soit, les liens unissant les écrivains québécois à la littérature française doivent plus ou moins ressembler à ceux qui unissent les écrivains camerounais à celle-ci.

Entre le Québec et le Cameroun, la distance est plus considérable. Si la France à nos yeux ne présente à peu près rien d’exotique, en revanche il n’en va pas de même avec le Cameroun et sa littérature. Je rappelle que du côté des éditeurs, l’on se montrait curieux de connaître l’opinion d’un lecteur québécois, comme si, parce que Québécois, il allait forcément poser sur la poésie de Bessomo un regard de profonde altérité. Je ne m’étonne pas d’un tel présupposé. Il me paraît aller de soi et m’incite plutôt à interroger à mon tour ce vice impuni qu’est la lecture, dont le vice principal pourrait bien être le suivant : la plupart du temps nous ne lisons que du déjà lu, bien campés en terrain de connaissance, lisant des missives adressées par un autre nous-même à l’interlocuteur que nous sommes, interlocuteur qui en presque tous points lui renvoie sa propre image.  Ce sont là des lectures-miroirs entreprises au sein d’un même terroir : du Québec au Québec (parvenant à se lire sans trop de difficulté, malgré divers « régionalismes » culturels, sur le plan de l’esthétique, voire de l’idéologie); du Québec à la France (nous lisons sans fournir trop d’efforts la production française laquelle nous est familière au point de nous faire oublier trop souvent que du plus familier se publie sur notre propre territoire : il ne serait pas interdit de s’en soucier davantage); de la France au Québec (les Français nous lisent, mais faut-il le rappeler plus chichement que nous les lisons ? Du reste, l’on s’est permis là-bas de modifier les écrits d’un Kevin Lambert : de même les Français sous-titrent allègrement notre cinéma. C’est dire que de grandes différences malgré tout nous font étrangers les uns aux autres.

La lecture-miroir Québec-Cameroun ressemble-t-elle à celle qui se joue dans le rapport Québec-France ? Le lecteur camerounais perçoit-il de sensibles différences entre les recueils de poésie de Denise Desaultels et ceux d’une Marie Étienne ? Je ne saurais dire. Une chose est certaine, il entre beaucoup de soleil dans les poèmes d’Ada Bessomo. Beaucoup de chaleur et d’océan. L’on y mange des fruits qui ne poussent ni en France ni au Québec. Nul porc sauvage ne hante les campagnes de Charlevoix ou de la Normandie. Nous n’avons pas l’heur non plus d’apercevoir une « chanteuse noire, nue dans la clairière trouée de lumière ». Or c’est là justement, mes amis, que se produit le miracle de la poésie, en ce miroitement des mots sur la page alors que s’abolissent des frontières, permettant à des hommes et des femmes d’univers différents de se rejoindre dans la parole. La poésie qui peut être écrite par tout le monde peut être lue par tout le monde. Il n’y a pas plus d’étrangeté dans l’okoumé et le boa, l’iboga et la daba qu’il n’y en a dans la couleuvre et l’épinette. Ceci ne consiste pas un artificiel déni des différences fondamentales distinguant les sociétés les unes des autres, mais plus radicalement la reconnaissance d’un rapprochement opéré par la parole, et plus particulièrement par le poème.

Ainsi suis-je amené à rencontrer à travers les pages de Le monde virait au bleu des âmes venant ajouter un supplément de lumières au lecteur que je suis. L’autre n’est pas aboli dans le geste de lecture, qui n’est pas appropriation, dévoiement ou arrachement de sa différence. Le poème cependant instaure, inaugure une aire de partage, une aire commune. Il y a élargissement de nos communautés. J’entre en terre africaine où m’invite et m’accueille un poète. Il se nomme Ada Bessomo. Jouit-il d’une certaine reconnaissance en France et dans son pays d’origine ? Je l’ignore. Et tant mieux s’il en est ainsi, car cela me fournit l’occasion de lire sans connaître par avance les lectures qu’auront accomplies dans son œuvre ses autres lecteurs. Sans en éprouver un respect commandé par une réception antérieure favorable ou, dans le cas contraire, en ignorant la tiédeur de l’accueil qu’on aura pu lui réserver. La virginité du lecteur lui promet des découvertes. Il s’introduit au cœur du poème sans trop savoir où il sera conduit.

Qu’on se laisse plutôt conduire en toute confiance dans le recueil de Bessomo, on ne le regrettera pas. Il y a là de très bons poèmes, encore qu’il me soit toujours difficile de porter un jugement de valeur sur des poèmes. Je préfère tenter de les décrire. Je veux cerner la démarche d’un auteur. C’est qu’on peut parfois aimer un livre pour de bien mauvaises raisons, à tout le moins pour des raisons étrangères à sa nature intrinsèque. Un peu comme on aimerait une maison, non pour ses qualités architecturales ou de construction, mais pour la simple raison qu’elle serait située en bordure de la mer, qu’un être aimé y aurait jadis habité, que la couleur de sa toiture nous plaît, ou sous prétexte que des oiseaux parfois nichent dans les vignes s’agrippant à ses murs.

Comment peut-on se prononcer sur la qualité d’un poème ? Je ne sais dire si un poème est bon ou moins bon, voire mauvais. Nous devons tenir compte de la question du point de vue. Qui l’a écrit ? Qui le reçoit ? Un pauvre d’esprit qui aligne quatre vers conventionnels et dépourvus d’intérêt aux yeux d’un amateur de poèmes averti me semble mériter qu’on ne prenne pas ses pauvres mots à la légère. Son poème est bon parce qu’il l’a écrit humblement et avec sincérité. Il est bon surtout s’il touche ou émeut ceux et celles à qui il est offert. 

Dans son tout récent Mission : les possibles, Danielle Marcotte cite ce court extrait de Métier critique, un essai de Catherine Voyer-Léger : « Savoir d’où l’on parle ou d’où l’on écrit, c’est une façon de s’interroger sur ce qui façonne les prémisses de notre pensée, de remettre en jeu certaines valeurs ou convictions qui sont si ancrées qu’on les croirait naturelles. » Il en va de même de la lecture, dont l’intégrité est toujours menacée par des préjugés en limitant l’étendue et les pouvoirs.

Certes, je lis le recueil d’un Africain. Il y est question de gorilles, de mangues et de safous. Et alors ? Il y serait question de l’ours blanc, comme dans les plus récents poèmes de Jean Désy, de pommes ou de framboises, un poème demeure toujours un poème, est une fleur qui s’ouvre, dont les effluves et les pollens essaiment dans toutes les directions pour bientôt rejoindre tous les continents.

Sur le mien, je lis des poèmes qui me conduisent ailleurs, dans un autre univers, plus précisément sur le continent africain. Dans ma lecture, je tente de m’inscrire dans une approche endotique. Plutôt que de rechercher l’exotisme, je veux me montrer sensible à ce qui se trouve profondément inscrit dans les poèmes de Bessomo. Une idée d’endotisme hante mon regard. Qu’est-ce que je vois dans ces poèmes, qui s’y trouve déjà, et qui nous fait signe qui que nous soyons, Québécois, Français ou Camerounais ?

Je vois des poèmes écrits dans une langue française émaillée de mots et d’expressions camerounaises. J’ai mentionné l’iboga et la daba. Le baobab, le goyavier, le jujubier, le bananier et le safoutier appartiennent au monde luxuriant des tropiques. À cette flore répond une culture, des us et des coutumes. Les hommes et les femmes qui traversent les poèmes de Bessomo sont tout aussi africains que cette flore. C’est dans leur univers que nous abordons en ouvrant le recueil du poète. C’est plus précisément dans celui d’un homme. Cet homme apparaît dans le premier poème. Il pose des questions d’ordre moral. Il exprime des sentiments de honte en lien avec le mal. Il parle de saletés, de « poussières grasses ». Son cœur a eu tort de « soudoyer ces saletés ». Il semble avoir désiré un fruit défendu, avoir été en proie aux « envies de danser au bras / d’une belle aventure ». Il déplore s’être « entiché […] d’un regard / Piqueté de peurs brûlantes ». Dans le second apparaît une femme qui « [l’]énerve autant qu’elle [l’]apaise ». Cependant, ailleurs, une épouse légitime se plaint sans doute de toute cette saleté.

Plus loin : « La nuit seule me laisse figé dans / L’idée que dormir dans l’amour / Vaut toutes les brûlures du jour ». Enfin, le recueil dès le départ semble voué à célébrer ou déprécier un certain amour. Puis, curieusement, sans transition, vient un poème, ou est-ce une suite ? Le poète, enfin, le « je » de ces nouveaux poèmes s’adresse à son enfant. Je dis le « je » du poème, à vrai dire le sujet est un « nous ». Le poète assume en sa parole la présence de la mère de l’enfant ou est-ce la présence de toute la famille de cet enfant, voire d’une famille élargie, celle du quartier, du village, que sais-je ?

Que sais-je ? Je sais que ce poème est touchant et vibrant. On parle à un enfant. On lui fait ses adieux. On lui demande de revenir souvent. Est-ce là un dialecte : « Reviens souvent ā moan » ? Et plus loin « Autour de toi, ā moan wam ». Et encore, le passage suivant, qui mérite amplement d’être cité : « Emploie ton œil à apprendre, ā moan, / Dévoile ton âme aux charmes des pluies / Asperge-toi de belle curiosité. / Réserve ton œil pour la douce patience. / Parsème ton chemin de noble timidité. / L’art de se taire n’a pas d’âge. / Chanter avec la pluie prépare / La fidélité aux silences longs / Et délicats, la pluie montrant à l’œil / Les secrets de la pudique discrétion. »

Je ne viens sans doute pas de citer le plus beau passage du recueil. On lit çà et là des poèmes qui semblent tourner autour de quelques sentiments. Poèmes d’amour, de rupture, de retrouvailles, où tantôt une voix féminine prend le relais.

Il arrive que d’un poème à l’autre l’on perde un peu de vue le fil reliant tous ces poèmes. L’unité du recueil commande peut-être cette impression. Elle est peut-être voulue. Une chose est certaine, le titre du recueil surgit au passage pour éclairer de toute sa force l’ensemble du recueil. Cela se trouve vers la fin du recueil, alors que la femme aimée, que le destin semblait avoir dérobée à son amoureux, revient et lui prend les mains. « Elle voulait raviver la torche / D’Okoumé qui les guidait / Dans le dédale des étangs proches / Du bosquet dit des six dadais. / Elle lui prit de nouveau les mains. / Il les attira soudain à lui avec entrain. / Le monde virait au bleu. / Le bonheur dépend de si peu. »

Ada Bessomo : Le monde virait au bleu : Poésie : Éditions Shanaprod : 2021 : 90 pages

Il y a quelque temps déjà, l’on me faisait parvenir ce troisième recueil d’Ada Bessomo. Aux éditions Shanaprod où il est publié, l’on se montrait curieux de savoir ce que pouvait en penser un Québécois. Ada Bessomo est né au Cameroun et il vit actuellement en France.

La France est proche du Québec, jusqu’à un certain point. Et jusqu’à un certain point, nos traditions littéraires s’embrassent, se confondent un tant soit peu. Une Denise Desautels était récemment accueillie dans la prestigieuse collection de poésie des Éditions Gallimard. Évidemment, la circulation des biens culturels entre le Québec et la France s’est longtemps faite en sens unique, du grand pays à sa périphérie, plutôt que de l’ancienne petite colonie à la mère patrie.

C’est assez récemment que le Cameroun a quitté le giron français. Je présume que sur le plan culturel, la France a pu exercer sur ce pays des attraits similaires à ceux que nous avons longtemps connus et connaissons encore dans une certaine mesure. Quoi qu’il en soit, les liens unissant les écrivains québécois à la littérature française doivent plus ou moins ressembler à ceux qui unissent les écrivains camerounais à celle-ci.

Entre le Québec et le Cameroun, la distance est plus considérable. Si la France à nos yeux ne présente à peu près rien d’exotique, en revanche il n’en va pas de même avec le Cameroun et sa littérature. Je rappelle que du côté des éditeurs, l’on se montrait curieux de connaître l’opinion d’un lecteur québécois, comme si, parce que Québécois, il allait forcément poser sur la poésie de Bessomo un regard de profonde altérité. Je ne m’étonne pas d’un tel présupposé. Il me paraît aller de soi et m’incite plutôt à interroger à mon tour ce vice impuni qu’est la lecture, dont le vice principal pourrait bien être le suivant : la plupart du temps nous ne lisons que du déjà lu, bien campés en terrain de connaissance, lisant des missives adressées par un autre nous-même à l’interlocuteur que nous sommes, interlocuteur qui en presque tous points lui renvoie sa propre image.  Ce sont là des lectures-miroirs entreprises au sein d’un même terroir : du Québec au Québec (parvenant à se lire sans trop de difficulté, malgré divers « régionalismes » culturels, sur le plan de l’esthétique, voire de l’idéologie); du Québec à la France (nous lisons sans fournir trop d’efforts la production française laquelle nous est familière au point de nous faire oublier trop souvent que du plus familier se publie sur notre propre territoire : il ne serait pas interdit de s’en soucier davantage); de la France au Québec (les Français nous lisent, mais faut-il le rappeler plus chichement que nous les lisons ? Du reste, l’on s’est permis là-bas de modifier les écrits d’un Kevin Lambert : de même les Français sous-titrent allègrement notre cinéma. C’est dire que de grandes différences malgré tout nous font étrangers les uns aux autres.

La lecture-miroir Québec-Cameroun ressemble-t-elle à celle qui se joue dans le rapport Québec-France ? Le lecteur camerounais perçoit-il de sensibles différences entre les recueils de poésie de Denise Desaultels et ceux d’une Marie Étienne ? Je ne saurais dire. Une chose est certaine, il entre beaucoup de soleil dans les poèmes d’Ada Bessomo. Beaucoup de chaleur et d’océan. L’on y mange des fruits qui ne poussent ni en France ni au Québec. Nul porc sauvage ne hante les campagnes de Charlevoix ou de la Normandie. Nous n’avons pas l’heur non plus d’apercevoir une « chanteuse noire, nue dans la clairière trouée de lumière ». Or c’est là justement, mes amis, que se produit le miracle de la poésie, en ce miroitement des mots sur la page alors que s’abolissent des frontières, permettant à des hommes et des femmes d’univers différents de se rejoindre dans la parole. La poésie qui peut être écrite par tout le monde peut être lue par tout le monde. Il n’y a pas plus d’étrangeté dans l’okoumé et le boa, l’iboga et la daba qu’il n’y en a dans la couleuvre et l’épinette. Ceci ne consiste pas un artificiel déni des différences fondamentales distinguant les sociétés les unes des autres, mais plus radicalement la reconnaissance d’un rapprochement opéré par la parole, et plus particulièrement par le poème.

Ainsi suis-je amené à rencontrer à travers les pages de Le monde virait au bleu des âmes venant ajouter un supplément de lumières au lecteur que je suis. L’autre n’est pas aboli dans le geste de lecture, qui n’est pas appropriation, dévoiement ou arrachement de sa différence. Le poème cependant instaure, inaugure une aire de partage, une aire commune. Il y a élargissement de nos communautés. J’entre en terre africaine où m’invite et m’accueille un poète. Il se nomme Ada Bessomo. Jouit-il d’une certaine reconnaissance en France et dans son pays d’origine ? Je l’ignore. Et tant mieux s’il en est ainsi, car cela me fournit l’occasion de lire sans connaître par avance les lectures qu’auront accomplies dans son œuvre ses autres lecteurs. Sans en éprouver un respect commandé par une réception antérieure favorable ou, dans le cas contraire, en ignorant la tiédeur de l’accueil qu’on aura pu lui réserver. La virginité du lecteur lui promet des découvertes. Il s’introduit au cœur du poème sans trop savoir où il sera conduit.

Qu’on se laisse plutôt conduire en toute confiance dans le recueil de Bessomo, on ne le regrettera pas. Il y a là de très bons poèmes, encore qu’il me soit toujours difficile de porter un jugement de valeur sur des poèmes. Je préfère tenter de les décrire. Je veux cerner la démarche d’un auteur. C’est qu’on peut parfois aimer un livre pour de bien mauvaises raisons, à tout le moins pour des raisons étrangères à sa nature intrinsèque. Un peu comme on aimerait une maison, non pour ses qualités architecturales ou de construction, mais pour la simple raison qu’elle serait située en bordure de la mer, qu’un être aimé y aurait jadis habité, que la couleur de sa toiture nous plaît, ou sous prétexte que des oiseaux parfois nichent dans les vignes s’agrippant à ses murs.

Comment peut-on se prononcer sur la qualité d’un poème ? Je ne sais dire si un poème est bon ou moins bon, voire mauvais. Nous devons tenir compte de la question du point de vue. Qui l’a écrit ? Qui le reçoit ? Un pauvre d’esprit qui aligne quatre vers conventionnels et dépourvus d’intérêt aux yeux d’un amateur de poèmes averti me semble mériter qu’on ne prenne pas ses pauvres mots à la légère. Son poème est bon parce qu’il l’a écrit humblement et avec sincérité. Il est bon surtout s’il touche ou émeut ceux et celles à qui il est offert. 

Dans son tout récent Mission : les possibles, Danielle Marcotte cite ce court extrait de Métier critique, un essai de Catherine Voyer-Léger : « Savoir d’où l’on parle ou d’où l’on écrit, c’est une façon de s’interroger sur ce qui façonne les prémisses de notre pensée, de remettre en jeu certaines valeurs ou convictions qui sont si ancrées qu’on les croirait naturelles. » Il en va de même de la lecture, dont l’intégrité est toujours menacée par des préjugés en limitant l’étendue et les pouvoirs.

Certes, je lis le recueil d’un Africain. Il y est question de gorilles, de mangues et de safous. Et alors ? Il y serait question de l’ours blanc, comme dans les plus récents poèmes de Jean Désy, de pommes ou de framboises, un poème demeure toujours un poème, est une fleur qui s’ouvre, dont les effluves et les pollens essaiment dans toutes les directions pour bientôt rejoindre tous les continents.

Sur le mien, je lis des poèmes qui me conduisent ailleurs, dans un autre univers, plus précisément sur le continent africain. Dans ma lecture, je tente de m’inscrire dans une approche endotique. Plutôt que de rechercher l’exotisme, je veux me montrer sensible à ce qui se trouve profondément inscrit dans les poèmes de Bessomo. Une idée d’endotisme hante mon regard. Qu’est-ce que je vois dans ces poèmes, qui s’y trouve déjà, et qui nous fait signe qui que nous soyons, Québécois, Français ou Camerounais ?

Je vois des poèmes écrits dans une langue française émaillée de mots et d’expressions camerounaises. J’ai mentionné l’iboga et la daba. Le baobab, le goyavier, le jujubier, le bananier et le safoutier appartiennent au monde luxuriant des tropiques. À cette flore répond une culture, des us et des coutumes. Les hommes et les femmes qui traversent les poèmes de Bessomo sont tout aussi africains que cette flore. C’est dans leur univers que nous abordons en ouvrant le recueil du poète. C’est plus précisément dans celui d’un homme. Cet homme apparaît dans le premier poème. Il pose des questions d’ordre moral. Il exprime des sentiments de honte en lien avec le mal. Il parle de saletés, de « poussières grasses ». Son cœur a eu tort de « soudoyer ces saletés ». Il semble avoir désiré un fruit défendu, avoir été en proie aux « envies de danser au bras / d’une belle aventure ». Il déplore s’être « entiché […] d’un regard / Piqueté de peurs brûlantes ». Dans le second apparaît une femme qui « [l’]énerve autant qu’elle [l’]apaise ». Cependant, ailleurs, une épouse légitime se plaint sans doute de toute cette saleté.

Plus loin : « La nuit seule me laisse figé dans / L’idée que dormir dans l’amour / Vaut toutes les brûlures du jour ». Enfin, le recueil dès le départ semble voué à célébrer ou déprécier un certain amour. Puis, curieusement, sans transition, vient un poème, ou est-ce une suite ? Le poète, enfin, le « je » de ces nouveaux poèmes s’adresse à son enfant. Je dis le « je » du poème, à vrai dire le sujet est un « nous ». Le poète assume en sa parole la présence de la mère de l’enfant ou est-ce la présence de toute la famille de cet enfant, voire d’une famille élargie, celle du quartier, du village, que sais-je ?

Que sais-je ? Je sais que ce poème est touchant et vibrant. On parle à un enfant. On lui fait ses adieux. On lui demande de revenir souvent. Est-ce là un dialecte : « Reviens souvent ā moan » ? Et plus loin « Autour de toi, ā moan wam ». Et encore, le passage suivant, qui mérite amplement d’être cité : « Emploie ton œil à apprendre, ā moan, / Dévoile ton âme aux charmes des pluies / Asperge-toi de belle curiosité. / Réserve ton œil pour la douce patience. / Parsème ton chemin de noble timidité. / L’art de se taire n’a pas d’âge. / Chanter avec la pluie prépare / La fidélité aux silences longs / Et délicats, la pluie montrant à l’œil / Les secrets de la pudique discrétion. »

Je ne viens sans doute pas de citer le plus beau passage du recueil. On lit çà et là des poèmes qui semblent tourner autour de quelques sentiments. Poèmes d’amour, de rupture, de retrouvailles, où tantôt une voix féminine prend le relais.

Il arrive que d’un poème à l’autre l’on perde un peu de vue le fil reliant tous ces poèmes. L’unité du recueil commande peut-être cette impression. Elle est peut-être voulue. Une chose est certaine, le titre du recueil surgit au passage pour éclairer de toute sa force l’ensemble du recueil. Cela se trouve vers la fin du recueil, alors que la femme aimée, que le destin semblait avoir dérobée à son amoureux, revient et lui prend les mains. « Elle voulait raviver la torche / D’Okoumé qui les guidait / Dans le dédale des étangs proches / Du bosquet dit des six dadais. / Elle lui prit de nouveau les mains. / Il les attira soudain à lui avec entrain. / Le monde virait au bleu. / Le bonheur dépend de si peu. »

Auteur : Daniel Guénette

Né le 21 mai 1952, Daniel Guénette est originaire de Montréal. Il a vécu la majeure partie de son existence dans l’arrondissement de Saint-Laurent. Après des études en lettres à l’Université de Montréal, où il obtient un diplôme de maîtrise en création littéraire, il enseigne la littérature au cégep de Granby. En 2011, il prend sa retraite après 34 années d’enseignement. À l’aube de la soixantaine, il renoue avec l’écriture qu’il avait cessé de pratiquer durant près de vingt ans. Il publie chez Triptyque deux recueils de poésie, Traité de l’Incertain en 2013 et Carmen quadratum en 2016, ainsi qu’un récit, L’École des Chiens, en 2015. Dans son œuvre antérieure alternaient ouvrages de poésie (3 titres au Noroît, 2 chez Triptyque) et productions romanesques (3 titres chez Triptyque). Ces ouvrages furent publiés entre 1985 et 1996. L’ensemble fut bien reçu par la critique. À l’occasion du vingtième anniversaire des éditions Triptyque, feu Réginald Martel écrivait : « Et on soupçonne que bien des éditeurs seraient ravis d’inscrire à leur catalogue, parmi quelques auteurs de Triptyque, le nom d’un Daniel Guénette, par exemple. » J. Desraspes a enchanté Jean-Roch Boivin : « Ce roman est un délicieux apéritif, robuste et délicat, son auteur un écrivain de talent et de grands moyens. » Réginald Martel parle d’un roman « qu’on dévore sans reprendre son souffle » ; il salue également la parution des romans qui suivent, se montrant surtout favorable à L’écharpe d’Iris. Pierre Salducci écrit dans Le Devoir un article élogieux sur ce roman : « L’écharpe d’Iris est une réussite, une petite musique qui nous parle de la nature humaine et qu’on n’arrive pas à oublier. Un roman magnifique, un vrai. Pas un phénomène de mode. Pas un produit branché et périssable. Mais de la littérature. Tout simplement. » L’École des Chiens, qui en 2015 marque le retour de l’auteur au récit, a été commentée par divers blogueurs, dont le poète Jacques Gauthier : « Ce beau récit du poète Daniel Guénette évoque, avec pudeur et humilité, les onze années vécues auprès de Max qu’il a dû faire euthanasier à cause d’un cancer. Ils sont rares de tels livres qui traitent si tendrement de la relation entre un homme et son animal de compagnie. Ça parle de vie et de mort, d’attachement et d’amitié, d’enfance et de solitude. » Pour sa part, Topinambulle écrit : « Dans ce très beau récit, un homme apprivoise doucement le deuil de son chien. À la manière de Rousseau, Daniel Guénette nous invite à le suivre dans ses promenades, dans les méandres de ses souvenirs, où l'évocation de l'ami fidèle nous servira de guide. ». Dominic Tardif, dans Le Devoir, 4 juillet 2015 a rendu compte chaleureusement de L’école des chiens. Il a souligné qu’avec ce récit, l’auteur avait produit « de la vraie littérature » : « Plus qu’un livre sur un maître et son animal, L’école des chiens célèbre le pouvoir de l’écriture qui, chez Daniel Guénette, n’aspire pas à remplacer l’en allé, mais bien à en continuer la vie. » Recommandé avec enthousiasme à ses téléspectateurs, L’école des chiens a fait l’objet d’un échange de cadeaux à l’émission LIRE présentée sur ARTV. À partir de 1975, l’auteur a collaboré à diverses revues de littérature à titre de poète et de critique. On a pu lire ses recensions dans la revue Mœbius. Pour l’une d’elles, l’auteur a été finaliste au Prix d’excellence de la SODEP 2016, dans la catégorie Texte d’opinion critique sur une œuvre littéraire ou artistique. Plus récemment, l’auteur a publié deux nouveaux titres en poésie, Varia au Noroît en 2018 et, à l’hiver 2023, La châtaigneraie aux Éditions de la Grenouillère. Pour ce recueil, le poète a été finaliste au Prix d’excellence du webmagazine La Métropole. Dans la recension que réserve à cet ouvrage la revue LQ, le critique Antoine Boisclair écrit: « Ce recueil émouvant, très maîtrisé du point de vue formel, témoigne d’un savoir-faire indéniable. » Le critique et poète français Pierre Perrin écrit dans sa revue trimestrielle de littérature, la revue française « Possibles », ne pas confondre avec la revue québécoise du même nom : « Daniel Guénette a le vers sûr, souvent proche de l’alexandrin, parfois très bref. Il sait restituer une vie, avec sa foudre, ses éclairs, et les moments de calme, voire de communion. La Châtaigneraie constitue un beau recueil presque filial. » Pour sa part, dans Le Ou'tam’si magazine, Nathasha Pemba déclare que « La châtaigneraie est un recueil de poésie qui a l’allure d’un hommage, d’un renouvellement du contrat amical. C’est une poésie ontologique qui va au fond des choses pour faire émerger l’être. Daniel Guénette une fois plus confirme qu’il est poète, le poète de l’amitié, le poète de l’altérité, le poète de l’éternité. » Outre ces recueils de poésie, l’auteur fait paraître quelques nouveaux romans. De Miron, Breton et le mythomane, paru en 2017 à La Grenouillère, Dominic Tardif écrit dans Le Devoir : « Chronique des glorioles imaginaires d’un grand taquin aimant (se) conter des histoires et fabuler une légendaire vie d’aventures, Miron, Breton et le mythomane est le carton d’invitation d’une fête organisée en l’honneur du mensonge auquel s’abreuve n’importe quelle forme de littérature digne de ce nom. » Pour sa part, Dédé blanc-bec reçoit dans Nuit Blanche un commentaire signé Gaétan Bélanger : « Le ton poétique empreint d’humour et de nostalgie adopté par l’auteur rend extrêmement agréable la lecture de ce roman émouvant. Il faut préciser que, tout d’abord, il est un peu déroutant de suivre les bonds fréquents de la narration dans le temps. Plus que de simples digressions, elles donnent parfois l’impression que l’auteur saute du coq à l’âne pour revenir aux mêmes événements, observés sous un angle différent. Mais on s’habitue vite à cette manière ou à ce style et on l’apprécie pour son originalité. Voilà donc un roman au texte minutieusement poli et se démarquant par sa qualité et son audace. » Vierge folle est le dernier roman de l’auteur. La recension parue dans Culture Hebdo se termine avec ces mots : « Nous vous laissons le soin de découvrir la conclusion. Excellent, est un euphémisme. On a adoré. » Ce roman, sans doute le meilleur de l’auteur, s’il a suscité l’enthousiasme de ses lecteurs n’a guère fait l’objet de recensions sérieuses. Pour des recensions sérieuses, il aura fallu attendre l’hiver 2023. Au billet d’Antoine Boisclair portant sur La châtaigneraie, se sera ajoutée dans Le Devoir une chronique de Louis Cornellier consacrée non pas à un roman ou un recueil, mais à un essai. Le journaliste y salue d’abord le travail entrepris par l’écrivain sur son blogue : « Fin lecteur de poésie, l’écrivain s’y impose comme un critique raffiné, érudit et amical dont le style, limpide et élégant, s’apparente à celui de la conversation relevée. Ces qualités en font une rareté dans le paysage littéraire québécois. » Puis, il rend compte de l’essai : « Dans Le complexe d’Orphée (Nota bene, 2023, 186 pages), l’écrivain se fait plus essayiste que critique en proposant « une manière de promenade » dans laquelle il tente « de saisir la nature de la poésie ». Fidèle à son approche modeste et exploratoire, il déambule en compagnie des poètes et penseurs qu’il aime afin de délimiter son objet, tout en cultivant le souci de ne pas l’enfermer. » Il conclut sa chronique en ces termes : « Partisan des « poèmes limpides » qui disent de « simples vérités », Guénette trouve dans la poésie un antidote « à l’endormissement de [ses] facultés » ou, comme l’écrit Valéry, un discours « chargé de plus de sens, et mêlé de plus de musique, que le langage ordinaire n’en porte et n’en peut porter ». Fénelon aurait aimé ce livre admirable. » La conclusion de l’article d’Antoine Boisclair portant sur La châtaigneraie était elle aussi plutôt réjouissante : « Romancier accompli (son dernier récit, Vierge folle, est paru en 2021 aux éditions de La Grenouillère), critique littéraire important (son blogue, intitulé Dédé blanc-bec, offre des comptes rendus très étoffés sur des publications québécoises), Daniel Guénette est aussi un poète qui mérite toute notre attention. »

7 réflexions sur « Ada Bessomo : Le monde virait au bleu : Poésie : Éditions Shanaprod : 2021 : 90 pages »

  1. Bonsoir Daniel, le Cameroun, la France et le Québec, trois pays qui me sont chers. Ce qui me donne le goût de lire cet ouvrage. Des sangliers sauvages habitent la France et logent désormais au Québec aussi je crois…
    Merci beaucoup cher Daniel pour ces phrases pertinentes, pleines de sensibilité, qui nourrisent notre curiosité et notre soif :).

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  2. De la haute voltige, Daniel!
    Tu sais, avec plein de finesse et de délicatesse, aussi bien rappeler à la France son nombrilisme littéraire que reconnaître certaines beautés universelles dans la poésie d’un Camerounais, conservant ton précieux positionnement d’appréciateur qui évite le piège du jugement. Mes hommages!

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