L’auteur en est à son septième recueil de poésie. Son plus récent est publié à Paris. Par sa facture, cet ouvrage ne paie pas de mine. L’éditeur choisit sans doute de favoriser la diffusion des œuvres en accordant à leur apparence physique moins d’importance qu’à leur contenu. Ses livres ne coûtant pas les yeux de la tête, le lectorat n’hésitera pas à délier les cordons de sa bourse. C’est là sans doute le pari qu’il se fait. L’on sait que des poèmes peuvent être mis en valeur par la qualité du papier sur lequel ils sont imprimés ainsi que par leur mise en pages. Or un poème demeure un poème ; quand bien même l’écrin serait magnifique, si le bijou relève de la camelote il est sans intérêt. Ce n’est évidemment pas le cas ici. Les poèmes de Condello valent amplement l’attention qu’on peut leur accorder. On leur trouvera une simplicité qui favorise le déploiement de la pensée poétique.
Condello écrit des poèmes où il interroge le monde tout en le contemplant. La parole qu’il met en scène est celle d’un marcheur. Ce marcheur traverse les jours et les nuits, il lève la tête et observe longuement la voûte céleste. À l’aube, il s’arrêtera au bord du vaste océan. Mais sa quête ne prendra pas fin pour autant. Chaque jour et chaque nuit enclenchent à nouveau ce même processus, celui de la marche, de la pensée, du recueillement. Oh! Ce sont là des impressions. Le poète pourrait me reprendre et contester de telles interprétations. C’est dire que la simplicité évoquée ci-haut n’a rien de simple. Salah Stétié que je cite de mémoire affirmait que « le simple n’est pas simple ». Chose certaine, il n’y a rien de simpliste chez Condello. D’aucuns pourraient objecter que l’aube, la lumière et la mer sont des lieux communs et qu’y recourir n’a rien de particulièrement original. En lisant Rien de plus qu’un écho, j’ai songé plus d’une fois à notre cher Fernand Ouellette, qui je le dis en passant est l’auteur d’Ici, ailleurs, la lumière. Il se trouve qu’en lisant certains poèmes de Condello, j’ai songé justement à Ouellette, à l’importance que revêt chez lui l’idée de la verticalité. Sans doute la filiation à Juarroz, le poète de Poésie verticale, est-elle plus importante pour Condello, comme le suggère le titre de la première partie du Rien de plus qu’un écho : « Juarroz et toi ».
La lecture de poèmes, surtout peut-être lorsqu’ils sont de facture apparemment simple, exige une certaine attention, car l’on risque sinon de glisser sur les mots, ceux-ci ne semblant pas faire écran au sens qui paraît alors évident. Mais avant tout, une observation. Les poèmes de ce recueil tiennent chacun sur une toute petite page. Leurs vers sont courts, viennent par petits groupes de deux ou trois, rarement davantage, pour un total chaque fois d’environ quatre ou cinq strophes. Il y a peu d’exceptions. Quand il y en a, le poème tient tout d’un bloc, sans blanc entre le peu de vers qui le composent. Tout cela, cet air vibrant entre les mots, et comme favorisant la diffusion de l’écho, confère à la poésie de Condello une certaine résonnance, à tout le moins favorise la lecture, du moins à condition d’accepter de lire lentement, de manière à ce que les mots aient le temps de déposer en nous toute leur substance.
Si, après avoir lu un peu trop distraitement le premier poème, je passe au suivant, je peux lire quelque chose que le poème ne dit peut-être pas. Voyons : « Je te regarde / visible dans l’invisible / te vois / lumière dans la lumière / te reconnais / comme un frisson sur la peau / mais ne te connais pas / plus que la beauté / d’une espérance »
Ce dernier mot, « espérance » est souvent entendu comme la version, la variation croyante du mot « espoir ». Le mot « espérance » est connoté religieusement. Du reste, l’invisible et la lumière appartiennent à un champ lexical propre au discours de la foi. Quoi qu’il en soit, on pourra, c’est mon cas, trouver que ce poème est beau. Il est tout simple. Des fâcheux pourraient trouver qu’il l’est trop, voire qu’il est désuet. C’est un poème qui ne change pas beaucoup à chaque lecture, mais qui semble gagner chaque fois en profondeur et en vérité humaine. Je ne me risquerai pas à le paraphraser, mais il me semble traiter des limites de l’entendement et de la clairvoyance. À vrai dire, nous voyons l’autre et même le Grand Autre, qui est ou n’est pas Dieu, en éprouvant sa connaissance en notre chair et notre esprit tout en réalisant, et c’est là une épreuve, que cette connaissance, notre saisie de l’autre, en vient toujours à s’étioler, cette connaissance étant belle, telle la beauté d’une espérance évanescente.
Or ce poème, force est d’admettre que s’il peut être adressé à Dieu, il peut aussi être susurré à l’oreille d’un être de chair. Le premier poème du recueil, s’il avait été lu plus attentivement, nous y aurions vu, quand bien même il se déploie dans ce que j’appellerai un vaste questionnement, vu, dis-je, l’esquisse d’une présence humaine. Lisons-le : « Est-il enfin le temps / d’incurver nos noirceurs // d’ouvrir toutes grandes / les portes intimes / de nos âmes / jusqu’au très tard // de nous perdre dans un souffle / de silence // dans une gorgée de crépuscule // et à l’horizon / de tes reins ».
Dans ce premier poème, l’adresse contenue implicitement dans la désignation d’une partie du corps humain révèle la présence d’un interlocuteur ou d’une interlocutrice. Je dis « corps humain », alors que s’il était ici question de l’horizon d’un visage, cela pourrait faire songer à la figure toujours invisible de Dieu, s’incarnant chez les chrétiens dans le visage du Christ, et l’on pourrait croire alors que le poète dialogue avec Dieu lui-même, étant entendu qu’il serait plutôt incongru d’imaginer, ne serait-ce que symboliquement quelque chose comme les reins de Dieu. Ceux d’un corps sexué et qui plus est aimé sont évidemment plus probables. Nonobstant, avant qu’il ne soit question de « tes reins », tout dans le poème est porteur d’une interrogation que l’on pourrait dire d’ordre métaphysique.
Notons, par ailleurs, que le « tu » de ces reins n’occupera pas dans la suite du recueil une place considérable. Il demeurera en filigrane. Le recueil ne contient pas de poèmes d’amour. Ses thématiques sont tout autres. Le poète de Rien de plus qu’un écho semble davantage préoccupé par une quête du sens. Comme on a peut le constater avec ce premier poème, il interroge : « Est-il enfin le temps / d’incurver … / d’ouvrir … / de nous perdre … »
Dans une très brève préface, Aimée Dandois parle d’une « approche en plongée [qui] donne parfois le vertige. » À coup sûr, il y a chez Condello une manière de frémissement de l’intellect. Sa poésie procède et du sentiment et de la pensée. Le poète interroge. On a vu que le premier poème du recueil pose une question en éventail qui sans trouver sa résolution définitive se déploie dans la rencontre amoureuse, « à l’horizon / de tes reins ».
L’appréciation des poèmes est chose fort subjective. Pourquoi suis-je sensible à certains vers plus qu’à d’autres ? Qu’est-ce au juste qui me fait aimer les suivants : « des oiseaux aident les heures / à devenir le soir », ou ceux-ci : « Un clocher prend les heures / sous son aile » ? Pourquoi me parlent-ils plus que d’autres ? Et de quoi au juste me parlent-ils ? Car ils parlent. À n’en point douter, ils disent quelque chose.
Que disent-ils ? Quand parfois surgit une métaphore plus ou moins étonnante, il convient de lire au-delà de la curieuse manie qui est souvent la nôtre, et qu’en son temps pourfendait Breton, s’insurgeant qu’on ramenât le poème à la prose qui lui serait originelle ou dont elle ne serait que le substitut artificiel, le poète surréaliste allant jusqu’à affirmer ceci dans son Introduction au discours sur le peu de réalité : « Il s’est trouvé quelqu’un d’assez malhonnête pour dresser un jour, dans une notice d’anthologie, la table de quelques-unes des images que nous présente l’œuvre d’un des plus grands poètes vivants ; on y lisait : Lendemain de chenille en tenue de bal veut dire papillon. Mamelles de cristal veut dire : une carafe, etc. Non, monsieur, ne veut pas dire. Rentrez votre papillon dans votre carafe. Ce que Saint-Pol-Roux a voulu dire, soyez certain qu’il l’a dit. »
Dans le passage suivant, je découvre bientôt des « boucles de laine »; mon esprit, quoi qu’en puisse penser Breton, conçoit tout naturellement l’image de nuages. Or ces nuages ailleurs apparaissent dans le recueil; le ciel parfois s’obscurcit, puis s’éclaircit. C’est que le poète est en marche : « simplement nous marchons / bohèmes / dans des pas qui sont les nôtres // parmi les boucles / de laine / et l’automne en péril ». Je dis que le poète marche, or chez Condello l’intime implique une ouverture à l’autre. Le poète écrit « nous », nous écrit collectivement, nous inclut dans son discours et dans sa quête.
« Un poème dit / ce qui est là / et n’y est pas ». De tels vers sont à méditer. Avec le paradoxe qu’on y voit, le poète semble tenir un double discours. Il accueille, du moins dans le cas d’un poème, les significations qu’un lecteur y découvre tout autant que celles qu’un autre y entrevoit. Autrement dit, ce que nous trouvons dans un poème s’y trouve et ne s’y trouve pas. Ainsi le « nous » du poème chez Condello ne réfère peut-être qu’au poète et à sa compagne. Mais encore, le « tu » rencontré dans son poème pourrait être tout autre que celui de la femme aimée. Le nom dans les vers suivants pourrait être celui de l’innommable : « Ton nom ne se prononce pas / il se susurre / dans le ploiement de l’aurore ».
Ce que je vois est-il le fruit de mon imagination ? Le lexique employé par l’auteur et maints passages de son recueil m’incitent à croire que dans la brève préface de l’ouvrage Aimée Danbois a tout à fait raison d’évoquer la poésie verticale du poète argentin. Dieu est souvent plus que Dieu, davantage que l’idée que nous nous en faisons, voire tout à fait à son opposé. Dans le rien ou le néant se tient peut-être pour nous une forme de promesse. Cet esprit qui nous anime, voilà ce que, me semble-t-il, ne cesse de réanimer la poésie de Condello. C’est une poésie de l’attente et non de la fuite : « nous attendons / entre fossiles et lumières / hors des sentiers battus / un nouveau cœur ». Or « nous sommes si séparés / de nos croyances ». C’est là un drame. Alors que « l’absence brille », nous cherchons, osons le mot, la lumière. Non la lumière de l’absence, mais bien celle de la présence. De la présence de Dieu ? Ne la cherchons pas si loin cette présence, ne la cherchons pas si haut. L’homme à soi seul tente d’advenir à sa propre verticalité. Cela peut suffire. Le poète s’interroge : « la pureté / est-elle tout / simplement mythe » ? Il se pourrait qu’il en soit ainsi. Que notre soif de lumière soit insensée. Néanmoins, le poète marche, et nous de même avec lui car il s’agit de parvenir à « purifier nos brumes », à dégager notre ciel.
Dans un poème, l’on voit cette question : « que demeure-t-il / de la foi / après / la cendre / quand toutes nos écorces / sont tombées » ? Je relie cette question à un constat que l’on trouve dans un poème en amont : « chaque braise semble à sa place // chaque braise / mais pas nous ».
Où donc alors serait notre place, à nous, « bohèmes » ? La réponse se trouve peut-être dans un autre poème. Condello écrit : « apprenons à être / racine //ce que nous sommes / encore et encore ». L’injonction assurément est d’ordre moral, du moins par elle le poète cherche-t-il à remonter le moral de qui se sent abattu. Avec ces mots, le poète propose de consolider une assise, une sorte de socle, il cherche à enraciner l’être en lieu et place de sa vérité fondamentale. Il s’agirait d’être vraiment ce que nous sommes. Avant de disparaître.
Dans l’un des derniers poèmes s’immisce une clarté, un espoir se fait jour : « Ce sera l’année / de l’arc-en-ciel // nous redécouvrirons / le bruissement familier des insectes / la totalité de l’instant // la joie avouée / de ne plus courber les épaules ».
Merci Daniel pour cette lecture en profondeur.
« La poésie, comme Dieu, comme l’amour, n’est que foi. »
Juan Ramon Jimenez
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Voilà qui résume mon billet. Merci Christophe.
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«…il y a chez Condello une manière de frémissement de l’intellect». Quelle rencontre du coeur et du cerveau!
J’aime bien ton invitation à demeurer en mode métaphorique ou image plutôt que de rechercher rapidement le mode linéaire ou raisonnable des mots. Oser expérimenter l’ivresse du poète…
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