Le simple n’est pas simple. Vieux souvenir de lecture; j’ai lu ça quelque part, je ne sais ni où ni quand, ça remonte assez loin dans le temps. Des recherches pour en retrouver l’auteur sont demeurées vaines. Elles m’ont cependant conduit à ceci de Reverdy : « Ce n’est pas si simple que ça, d’être simple. » Et à ceci, de Sénèque : « Le langage de la vérité est simple. » Une dernière citation, de Prévert cette fois : « C’est tellement simple, l’amour. »
« Le simple n’est pas simple ». Après tout, ce pourrait être de moi. Chose certaine, Pierre Reverdy est de cet avis. Quant à Sénèque, son aphorisme n’est pas démenti par la poésie de Jade Bérubé. Celle-ci retrace dans son recueil un parcours amoureux, elle revient sur ses pas et révèle une douleur qu’elle ravive sans en rien dissimuler. En toute simplicité, elle dit sa vérité. Celle d’un échec amoureux. Car malgré Prévert, avec Jade Bérubé — et jusqu’à un certain point, l’expérience de tout un chacun le confirme — il semble que l’amour soit plutôt une chose fort compliquée.
Sortir avec une chanteuse : le verbe du titre est à l’infinitif. Dans l’ensemble du recueil, il se conjugue au passé, dans les temps propres à l’évocation de ce qui fut. Ce furent surtout des moments imparfaits ou encore quelques rares moments de grâce. Or tout cela est désormais chose du passé. S’installe de manière chaotique et trouble un présent où le passé demeure malgré tout beaucoup trop présent. Douleurs fantômes. Lorsque l’amour s’évanouit, l’amour reste et demeure encore. La chambre vide conserve le parfum de l’être que l’on aimait. IL ne se dissipe pas immédiatement. Voilà en peu de mots ce que raconte Sortir avec une chanteuse.
Il y a dans ce recueil un récit. L’autrice le file avec un fil ténu, sans trop se soucier de linéarité. Ce fil est coupé par endroits. De petits poèmes en petits poèmes, elliptiquement nous sautons par-dessus des événements imprécis. Quelques scènes sont esquissées. Un décor est planté. C’est celui d’une rue où marchent tantôt l’amoureuse ou l’être aimée, l’une allant à la rencontre de l’autre : « Marcher vers chez toi / Les poches et manches pleines ». C’est un espace urbain. Quant à la temporalité, elle est faite de brièveté. Il y a des saisons, peu nombreuses, à peine passera-t-on deux Noëls ensemble : l’amour ne dure qu’un temps.
Dit comme ça, c’est non seulement un peu court, mais c’est plutôt convenu. Autrement dit, l’anecdote est anecdotique, on connaît la chanson. Le lieu est commun. Oui, mais justement, on ne refait pas le monde et il est peuplé de gens qui, comme vous et moi, chantent ou ont déjà chanté cette chanson. C’est une chanson triste, une chanson toute simple qui dit le bouquet de l’amour desséché, la cendre dans l’âtre une fois la passion consumée. Sortir avec une chanteuse est une chanson que chante Jade Bérubé avec beaucoup de justesse.
Dès le premier vers du premier poème, le la est donné. On ne sortira pas de cette tonalité, le mode est mineur. Le temps est celui de l’imparfait : « Tu étais une saison faste ». « Tu » n’est plus source de joie. Quelque chose est perdu, qui était de l’ordre de la générosité, de l’abondance, du bonheur à satiété. Comme tous les autres du recueil, le premier poème est bref. Il se termine par le mot « débris ». Mais les pots cassés ne seront jamais réparés. Quelques poèmes loin, nous lisons ceci : « Je ramasse les dégâts ». Nous sommes dans l’après. La saison faste est derrière l’amoureuse. Quelle que soit désormais la saison, pour tout un temps la jeune femme survira désormais au cœur de l’hiver, dans la froidure de sa solitude.
Du début à la fin du recueil, tout se passe dans l’après. Mais il est, si l’on peut dire, deux après. Il y a celui qui suit la débâcle immédiate, dont l’écho dure et perdure; puis vient un second après, d’apaisement celui-ci.
Sortir avec une chanteuse est une lettre d’amour, un discours que l’on se tient peut-être à soi, dans le silence de la solitude et de l’après. Une lettre d’amour écrite une fois révolue la saison faste de l’amour. Moins un règlement de comptes qu’une lettre de clôture, par laquelle on ferme les livres.
De l’être aimé, le lecteur saura peu de choses. Il s’agit d’une chanteuse. Quelle sorte de chanteuse ? Une chanteuse de pomme, une enjôleuse ? Une vraie de vraie chanteuse ? Peu importe. L’amoureuse trouve cette formule expéditive : « Tu n’es pas un beau personnage ». Que peut-elle lui reprocher ? Sans doute de lui avoir toujours opposé une fin de non-recevoir : « Je t’adressais des invitations dans la brise qui chuinte / Elles se sont perdues / Toutes ». Elle lui reproche de ne pas l’avoir accueillie chaleureusement : « Marcher vers chez toi / Les poches et manches pleines / Et ton sourire désolé en offrande / À l’arrivée du trajet / Tout se démolit ».
La chanteuse n’est pas un beau personnage. Elle tourne à son propre avantage les paroles que lui adresse l’amoureuse, elle les intègre à son art : « Tu as plaqué mes mots sur ta feuille / Pour en faire une chanson ». Mais ce n’est pas tout. Il semble lui falloir de la chair encore plus fraîche que fraîche, ou du moins de la nouveauté toujours renouvelée : « Je n’étais pas neuve / Un vieux mois de mai // J’aurais dû voir déjà / Ton regard ailleurs sur le jardin saccagé / Je n’entrais pas dans ta pupille noire ». Il y a cette déconvenue, mais c’est sans compter quelque violence. Il est question de coups de poing : « Il t’aura fallu saccager tout mon bestiaire ». Et ceci qui en substance dit la nature du drame qui s’est joué entre les amantes : « Il te fallait toujours briser quelque chose / Dans ton obscur pays / J’avais perdu les repères de la beauté ».
Dans ce petit recueil qui compte environ quarante-cinq poèmes, il y a un début, un milieu et une fin. Tout commence par la fin, mais il s’agit alors de cette sorte de fin où l’on s’acharne encore à tourner un peu le fer dans la plaie, à presque entretenir la souffrance par le souvenir de ce qui est maintenant derrière, c’est-à-dire en maintenant ce qui reste là malgré tout, juste de l’autre côté de la fine cloison qui nous en sépare. Ce qui a pris fin, on le caresse non sans une chagrine et douloureuse volupté qui a nom de souvenir. Le cas est classique, nous l’avons dit, et fort peu singulier. Ce qui l’est cependant, et nous y reviendrons, c’est tout de même la voix de la poète, sa manière.
Le milieu retrace le parcours, celui des déambulations de l’amoureuse sur la rue qui mène à la maison de celle qu’elle aime : « J’ai remarché dans mes pas / Toutes les semaines / À rebours en va et vient (sic) ». Les pages du milieu font la recension du délitement amoureux. On y constate l’ampleur des dégâts : « Mon cœur fait désordre jusque sur l’asphalte / Où progressent les bardanes ».
Puis, devant cette fin de non-recevoir, vient un jour le moment où « Rien ne jacasse plus dans ta ruelle / En attente de paysage et d’emballement ». La folle d’amour, par la force des choses, finit par se résigner à l’absence de l’autre : « Le vent dans tes cheveux / En ton absence / Dans les parcs et les jardins // Retirer tes clés du trousseau / Peser un nouveau poids / Dans cet octobre en peluches / Reprendre les formes initiales ».
Après, après ces cahots du désordre amoureux, « La solitude immobile / Me prend dans ses bras consolants ». Vient l’apaisement. Deux petits vers de rien du tout font entendre le bon sens, ramènent les pendules à l’heure, à une sage sérénité : « En pleine forêt / Les arbres persistent ». Autrement dit, il y a les hauts et les bas que nous vivons, les tourments nous déchirant, mais la sève de la vie circule encore et toujours. Ces deux vers mettent les choses en perspective. Les « écroulements » intérieurs que tentait de dissimuler l’amoureuse s’estompent, son moi en mille miettes se recompose peu à peu : « À l’aube impassible / Reprendre mes morceaux / Épars dans la maison vide ».
Un très beau poème dit enfin la paix retrouvée : « Si fragile le scintillement / Aucun geste brusque / La joie posée sur un banc / Un passereau ». C’est là, tout comme les arbres, un signe qu’envoie la nature à l’amoureuse hier encore dépitée.
Le recueil prend fin en pleine nature, qui encore une fois apparaît comme salvatrice et consolatrice : « Dans le remous des heures / J’ai jeté ma peine dans la rivière / Je l’ai regardée s’éloigner / Parmi les feuilles et les branchages / Tu es partie avec l’eau claire ».
Voilà un ouvrage de poésie qui charme grâce à la justesse de son ton. Jamais n’y voit-on d’outrance. L’on n’y trouve rien de trop ou de trop peu. Les choses sont dites simplement et non sans beauté. La poète fait montre d’une agréable fantaisie, d’une sobre inventivité : « Je ravale mes mots / Avant qu’ils ne se ruent sur toi / Comme des chevaux fous / Partis le mors aux dents ».
J’ai appris récemment que cette autrice a fait, dans sa jeunesse, un bout d’études avec ta voisine Suzanne!
J’aime bien ton hommage à la simplicité qui apporte une bouffée d’air léger après plusieurs auteurs portés sur une beauté plutôt exigeante! «Ce qui a pris fin, on le caresse non sans une chagrine et douloureuse volupté qui a nom de souvenir.» Quand une autrice t’inspire de telles perles c’est bon signe…
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