Dominique Olivier : Le carrousel des trahisons : Poésie : Écrits des Forges : 2020

La quatrième de couverture nous apprend que la poète est musicologue de formation. Elle a collaboré au défunt hebdomadaire Voir où elle était responsable de la chronique de musique de concert. Le Carrousel des trahisons est son premier recueil. Elle a fait paraître auparavant quelques poèmes dans la revue Exit. Bref, une néophyte pensera-t-on, non sans se fourvoyer : il s’agit là d’un coup d’essai se dira-t-on, l’auteure n’en est qu’à ses premières armes ; on aura donc affaire à du bon et du moins bon, ce sera forcément inégal, l’indulgence sera de mise.

Non sans se fourvoyer, ai-je écrit. Or, je tiens à le souligner, je n’avais pas de telles appréhensions lorsque j’ouvris ce recueil. Puis, dès les premières pages, tant elles ont de force et de singularité, j’eus, bien au contraire, la conviction d’avoir sous les yeux une œuvre franchement originale. Du reste, premières armes, oui et non, car tenir une chronique durant une dizaine d’années dans un hebdomadaire comme Voir, c’est assurément acquérir du métier, se familiariser avec la pratique de l’écriture. On me dira que la poésie n’a rien à voir avec la prose journalistique, voire culturelle, que c’est une tout autre affaire, qu’on ne s’improvise pas poète sur le tard, etc. Je répondrai qu’on y vient quand on y vient, que si en poésie il y a beaucoup d’appelés, il y a peu d’élus, et que Dominique Olivier très certainement fait partie de ces derniers.

Le titre n’évoque pas le carrousel d’un projecteur de diapositives ou quoi que ce soit d’autre que celui des parcs d’attractions. D’ailleurs, c’est bel et bien ce type de carrousel que l’on voit sur l’illustration de la couverture. En ce sens, le titre constitue une manière d’oxymore. En effet, il combine deux états contradictoires : la joie de l’enfance versus les trahisons que l’enfant connaît alors, ou plus tard dans sa vie d’adulte. Au carrousel, nous associons le plaisir, l’insouciance. Or elle est vite ternie, cette insouciance, et ce plaisir disparaît rapidement, du moins dans le recueil de Dominique Olivier.

Dès les exergues, le lecteur est averti, par le ton et l’espèce de radicalité du propos. L’auteure emprunte à Joël Pourbaix les paroles suivantes : « Cessons de respecter les consignes de la réalité. Ce qui doit brûler, brûlera : ce qui doit naître, renaîtra. » Ce feu, nous le retrouverons plus loin dans le recueil. Après l’insoumission, ce feu de destruction assurera une renaissance. Les poèmes évoquent une série de microévénements dont on perçoit nettement la courbe. Du début à la fin de l’ouvrage, bien qu’il ne s’agisse pas d’un récit, une histoire est plus ou moins racontée ; elle a un début, un milieu et une fin.

La poète cite Giordano Bruno, c’est le second exergue : « Je ne crains rien et ne rétracte rien, il n’y a rien à rétracter et je ne sais pas ce que j’aurais à rétracter. » Voilà qui exprime clairement une volonté, celle de n’en faire qu’à sa tête. Surtout ne pas plier, tenir le pas gagné comme disait Rimbaud, le tenir en ce qui a trait à sa propre vérité, ne pas évacuer la réalité.

Nous sommes ici au cœur d’un combat. Celui d’une vie. Les unes après les autres, la poète fait le décompte des trahisons qui l’ont marquée. On retrouve dans la table des poèmes les titres des diverses sections de son recueil. Après le liminaire, chacune des parties du recueil sera consacrée, pourrait-on dire, à un des chevaux de son carrousel. D’abord le père, puis la mère, la grand-mère, l’amant, l’amie et l’enfant (il s’agit de l’enfant trahi). Pas question pour l’écrivaine d’occulter ce qui a fait sa réalité, ce qui enfant, puis adulte, l’a défaite. Il y a dans sa démarche quelque chose qui est de l’ordre du règlement de comptes. Les exergues qu’elle choisit sont quasiment à prendre au pied de la lettre. Dans une certaine mesure, ceux et celles qui ont empoisonné son existence, qui l’ont ensorcelée, devront brûler ne serait-ce que par contumace sur son bûcher imaginaire.

Le recueil est rigoureusement composé. La table des poèmes le confirme, en ce qu’elle détaille une kyrielle de termes appartenant tous à un même champ lexical, celui de la famille et des proches, des êtres qui ordinairement sont chers ; chaque substantif est précédé d’un simple article (le, la, l’ : le père, la mère, l’amant, etc.). Ces termes correspondent chacun à une trahison. La rigueur de la construction du recueil, on pourrait presque parler ici d’une partition poétique, se vérifie dans le moindre détail, si bien que l’on peut avancer qu’un certain formalisme est à l’œuvre dans cette écriture. Mais il s’agit d’un formalisme secondaire. Tout a beau être réglé au quart de tour, ce n’est pas là l’essentiel. L’élément formel est impeccable, mais l’auteure nous propose beaucoup plus qu’une réussite de forme. L’exécution a beau être remarquable : il y a plus.

Fruit de l’intelligence, ce recueil est surtout le fruit de la passion. D’une double passion : celle dont il est question à travers cette série de trahisons et qui se traduit par la colère et le refus, et celle qui consiste, plus froidement, à élucider cette souffrance, à en démêler les nœuds inextricables, tels que ressentis au fond des entrailles du personnage central de ce carrousel.

Les poèmes de son carrousel font le tour de sa souffrance. Il s’agit d’une souffrance héréditaire, atavique, transmise d’abord dans la verticalité des générations, et qui gagne par la suite les relations nouées à l’horizontale, dans le vis-à-vis avec l’amant ou l’amie.  

Quelques poèmes sont en italique. Pour la plupart, ils figurent à la fin des diverses sections, lesquelles quant à elles s’ouvrent avec des exergues. Ces poèmes et ces exergues entretiennent avec les poèmes des liens qui sautent ou non aux yeux du lecteur. La poète requiert notre collaboration. Dans l’ensemble, il n’est cependant pas difficile de comprendre ce que nous lisons. Il s’agit de suivre la voie ouverte par Pourbaix et Bruno en début de recueil. Nous n’avons qu’à nous imprégner des autres citations, lesquelles sont, pour emprunter au poème intitulé « Partance », de véritables poteaux indicateurs, « poteau indicateur », comme nous l’apprenons dans une note en bas de page, provient du Voyage d’hiver de Schubert. Ces poteaux jalonnent notre parcours. Et même sans eux, notre parcours ne représenterait pas d’aspérités ou d’écueils mettant la lecture en péril.

Le liminaire est éclairant. Il commence avec un petit poème en italique. Nous y lisons ce qui suit : « trouée vers le ciel/la candeur/à sa nature retrouvée/chante une ode d’intériorité//le sang/les impuretés/rien pour corrompre/la montée/désormais ». Comme on le constate, le recueil fait d’abord entendre une note positive ; il y est question de ciel et de montée, d’obstacles contournés (« rien pour corrompre »). Ce caractère positif, nous le retrouverons à la fin du recueil : « en mon sein/l’asile d’un rayon d’argent » et « un envers tout doucement            s’efface ». Ce dernier vers, avec ses brefs silences, contient les mots par lesquels se termine le recueil. Mais entre le poème initial et celui qui clôt l’ensemble, rien n’est vécu, écrit, évoqué sur un mode solaire, aérien, ouvert.

Tout commence par un « bal grinçant » où danse une « assemblée de squelettes/déconcertés ». Le ton est celui de la dénonciation : « ils caressent de la pensée/leurs idées factices ». Il est question de « mots malades », puis, en italique : « les mots mentent tellement/mieux que les regards ». Le poème s’intitule « Au milieu des regards ». Il pourrait tout aussi bien s’intituler « J’accuse » : « vous êtes venus me chercher/me mettre à mal ». Le poème fait référence à des conflits, à de l’exploitation, à la « fabrique d’un désarroi ». Toutefois, il annonce une renaissance (comme chez Pourbaix : « ce qui doit naître, renaîtra »). La poète en effet écrit : « j’éloignerai mes pas/déboires à la chaîne/ne m’accompagneront plus//le chemin/seul/aura ma gratitude ».

Premier traître : le père. C’est le titre de la première suite, il désigne le coupable numéro 1, du moins le premier accusé. Yves Préfontaine ouvre le bal : « Père/Te voir soudain/dans ta mort très dure/et ta vie d’éclairs brusques. /Ton regard d’étoile et de colère ».

Autant le dire maintenant, quitte à le répéter, les poèmes de madame Olivier possèdent une grande force expressive. Ils sont souvent magnifiques. C’est le cas dans cette section. Qu’est-il reproché au père ? Une manière de fanatisme, d’intransigeance gauchiste, d’adhésion à des principes politiques dont l’actualisation, la matérialisation, a donné lieu dans l’histoire aux pires errements. Cet homme possédait la foi, une foi non religieuse, plutôt idéologique, politique. Il croyait en ces « dieux sauveurs » dont la couleur a inondé le monde « d’un rouge/incendié ». Les noms de ces divinités « marquent encore nos esprits ». La poète ne les identifie pas. Le mot « rouge » suffit.

Les communistes cherchaient à transformer le monde, lui voulait « réinventer [sa] vie leur vie ». Ce sont là de nobles intentions, mais comble du paradoxe, cet homme n’était pas habité par un amour pour l’humanité : « ceux que tu prétendais sauver d’eux-mêmes/tu les haïssais/autant que toi-même ». Pire : « il faudra les tuer/un à un/ceux qui ne pensent pas comme il faut/— tu le pensais vraiment — //ils l’ont fait ».

Mais sa véritable trahison se trouve ailleurs. Ce père a trahi par absence. Vivant parmi les siens, il était ailleurs, accaparé par sa rage : « l’architecture de ton esprit/tout ce qu’il y a de plus baroque ». Il est question d’électrochocs. La venue au monde de son enfant aura pour lui été problématique : « violence engendrée/par mon engendrement/toujours tu m’en tiendras rigueur ».

Deuxième trahison. Celle de la mère. Yves Préfontaine est à nouveau sollicité. En exergue : « Meurs     mère déjà morte. Je meurs avec toi/ Même si je tente/ De me dresser/ Debout/ Dans ton héritage de ténèbres ». 

En lisant les poèmes contenus dans cette section, je songe à sa parenté avec celui de Dominique Gaucher. Dans L’inverse de la lumière, on retrouve une souffrance similaire. Elle n’est pas modulée avec une intensité comparable ; on y retrouve, me semble-t-il, moins d’acrimonie ; mais le trouble, les blessures d’enfance, l’ensemble des problèmes évoqués par les deux auteures sont apparentés. Gaucher et Olivier exploitent chacune à sa façon les filons de la trahison. Gaucher s’exprime de manière moins revendicatrice. Le ton d’Olivier fait songer à celui que l’on retrouve chez Rimbaud, le poète de sept ans auquel, par ailleurs, elle réfère dans un de ses poèmes. Avec elle, nous sommes assez proches des vers de l’homme aux semelles de vent : « Et la Mère, fermant le livre du devoir, /S’en allait satisfaite et très fière, sans voir, /Dans les yeux bleus et sous le front plein d’éminences, /L’âme de son enfant livrée aux répugnances. »

Madame Olivier écrit : « mère aux vengeances sibyllines/aux abandons destructeurs/aux absences tragiques/tu es la source/de toutes mes rages impures//trahison du cœur/pour celle que tu engendras/un jour de printemps/celle qui n’aurait/jamais/dû/voir/le jour » Ne retrouve-t-on pas ici un point commun avec le rejet manifesté par le père ? Je cite à nouveau : « violence engendrée/par mon engendrement/toujours tu m’en tiendras rigueur ».

De même que le père nourrissait une perpétuelle colère, la mère dans son feu glacial (« ton âme brûlée à la lumière froide ») manifeste une « colère injurieuse/portée au flanc/telle l’épée/ou la dague ». Et encore : « cette colère : /résultat d’un effleurement/résonnance de la blessure/dans un gong/épuisé par les/coups ». Assurément, la douleur alimente le feu de la colère. Du reste, cette colère se transmet tout comme la peur. Elle est un legs : « De mère en filles/colères et doutes se reproduisent/à l’infini/fœtus gâtés d’avance ». La peur habitait le père : « de tes luttes intestines je connais/la teinte vermillon/de la vérité tu avais plus peur/que de la Mort ». La peur se retrouve chez la mère : « ta peur : /nous encercle ».

On l’aura sans doute constaté, le registre de l’écriture chez Olivier est littéraire. La fonction poétique du langage est également constamment activée. Nous avons ici affaire à une poésie savante. Non seulement l’auteure cite-t-elle différents poètes (Sylvia Plath, Louise Cotnoir), elle fait aussi référence à des peintres (Bosh, Bacon), des musées (le Louvre, Beaubourg) des musiciens (Beethoven, Schubert). Tout cela donne à son recueil une aura de culture, la culture faisant partie de l’héritage parental (la mère enseignait « aux jeunes esprits/ce que l’on appelle encore aujourd’hui/philosophie » ; le père était un intellectuel, il peignait. À la culture, qui élève le niveau du recueil, s’ajoute la qualité de l’écriture, sa maîtrise et, par endroits, son indéniable intellectualité : « elle nie / cette poétique absence / qui est la sœur / du savoir ».

Si la peur et la colère sont héréditaires, la culture pareillement est fruit d’une transmission. La lie n’est pas venue toute seule, qui empoisonna cette jeune personne, du bon vin aussi aura été versé dans sa coupe. La mère donc enseignait la philosophie, la fille en a retenu quelque chose : elle pense par elle-même et, comme Gaucher, elle parvient à sonder froidement le feu glacé de sa mère.

Le portrait de la grand-mère est un peu plus tendre. Celle-ci est un curieux personnage, une sorte d’actrice qui « s’attarde/s’acclame au point mort/masque la vieillesse comme elle peut/lèche les contours de sa peur ». Dans cette troisième partie du recueil, le lecteur récoltera encore quelques frissons, dont celui-ci provenant des réflexions suscitées par une vieille photographie où l’on découvre « immobiles/quatre générations de femelles ». On notera ce terme fortement connoté : « femelles ». La suite est troublante qui dit l’asservissement des femmes : « agitées/inquiètes/aux narines frémissantes/aux ventres innombrables/attendant des hommes exutoires/leur mise en majesté ». Lecteurs, lectrices, relisez ce passage. En marge, je n’ai pu réprimer ce griffonnage : Ciel !

La grand-mère, trahie par le destin avilissant, celui réservé aux femmes de sa génération, trouvant comme seule issue celle provisoire que lui conféraient ses dons de séductrice, d’actrice, fut la « saturnienne dévorant ses enfants ». Cette grand-mère, que l’auteure associe aux « bonbons à l’infini », à qui elle réserve une certaine tendresse, aura, elle aussi, trahi : « trahir ses enfants puis      plus tard/gagner un cœur/ta seule descendance/absolument la seule ».

Une dette, pourrait-on dire, positive. Ce cœur gagné est celui de la petite fille abandonnée par ses propres parents. La grand-mère a épargné cette enfant. Elle semble même lui avoir transmis un certain don, celui de l’écriture : « aujourd’hui/celle qui t’a survécu/écrit/ailleurs/que dans sa tête ».

Le poème en italique avec lequel se termine le passage consacré à la grand-mère s’achève avec les vers suivants : « puis dénouer le verbe/pour aborder l’absence ». L’écriture n’offre pas qu’un exutoire. Elle est aussi un instrument favorisant l’introspection, ici, la traversée de l’hiver.

La jeune femme n’est pas que l’enfant, la fille et la petite-fille. Elle sort de la maison et va à la rencontre des autres. Elle découvre l’amour. Elle rencontre l’amant. Ce sera la quatrième trahison. Sylvia Plath écrit : « De sulfureux adultères geignent en rêve ». Cet exergue laisse deviner la suite. Dont le premier poème dit tout. Il s’intitule « Un adieu ». On y lit : « Sur mon front/ton souffle/ne rebondira plus//tu es le désespoir de la nuit/dans les rues sans sommeil ».

Les poèmes de cette section ne diffèrent pas des précédents. On y retrouve les mêmes qualités, la même intensité. Tout cela encore une fois est percutant : « tu plonges ta langue dans mon sang/spectre/aux grimaces livides ». Ces derniers vers, je ne serai sans doute pas seul à leur trouver un lien de parenté avec la poésie du dix-neuvième siècle. Celle des Baudelaire et Rimbaud. De même, l’auteure ne refuse pas des tours que d’aucuns pourraient trouver anciens, mais qui personnellement n’ont rien pour me déplaire. Je songe aux inversions : « un lugubre sentiment », « quelque subtile errance », « vous gardez dans vos noires nacelles », etc. Voilà qui selon moi est à mettre au compte de la culture, ce sont des « figures » qui ajoutent à la beauté de l’écriture.

Dans un très beau poème évoquant l’après de l’amour (où sont mentionnées les traces que laisse derrière lui l’amant), s’amorce la remontée. Un vers est emprunté au « Voyage d’hiver ». Le voyage d’hiver de la poète va bientôt prendre fin : « enluminures du sol/guidant mes pas vers ce lieu/ou [sic] calme et douce ardeur/annoncent l’arrivée ».

Avant-dernière section. Une nouvelle déception. Celle engendrée par l’amitié. Les poèmes où sont évoqués les déboires et les trahisons amicales sont évocateurs, moins précis : je veux dire qu’on éprouve plus de difficultés à y discerner des fragments de réalité. Ils sont plus allusifs : « la trahison/comme escorte/tu files la métaphore/ou cherches le mot juste/tout pour ne pas plier//au fil du temps/de tes fausses indolences/mon innocence aura intimement souffert ». On a su avec le père à quoi attribuer la honte qu’il inspira à sa fille. On sait moins en quoi consistent les fausses indolences de l’amie.

La musique aura été le pont reliant les deux amies l’une à l’autre. Un beau poème termine ce cycle. Il s’intitule « Sauvée » : « Te souviendras-tu/le moment venu/des éclairs de cette nuit-là/celle où tu fus entre mes mains//glaise/pâte à modeler/étalée morcelée/sur un sol luisant//l’amour aura été au rendez-vous/cette nuit-là//démiurge de ton monde insensé/jamais tu ne regrettes un visage/même celui qui t’aura//sauvée ».

Dernière suite. Avec « L’enfant », le recueil prend fin. La vraie vie peut alors commencer. L’enfant parvient désormais à marcher « au sommet de ses cauchemars ». Image des plus saisissantes, « les lévriers de ses jambes/s’envolent sur les lèvres coupantes//en vue/des fjords immenses ».

Une question est posée : L’enfant peut-il redevenir lui-même ». On serait tenté de répondre par l’affirmative. Un des derniers poèmes s’intitule « Envol ». Il y est question d’« une aube tranchante/de perfection cristalline ». Dernier poème : « Nadir ». Au figuré, ce terme désigne le point le plus bas. Après tout ce qu’on a lu, il est pourtant suffisamment élevé. Un de ses vers dit le « délicat enchantement du réveil ». Le jour se lève. « Il faut tenter de vivre » disait Valéry. Et c’est ce qui se produit : « en mon sein/l’asile d’un rayon d’argent//iris bourdonnant/source cachée du peu/du limpide/du sacré ».

La poésie n’offre pas qu’un exutoire passager. Elle est libératrice. Après les trahisons s’ouvre un nouvel horizon. Le verbe dénoue.

Derniers mots du recueil : « au verbe créer/j’offre une horde de signes/jetés les uns sur les autres//un envers             tout doucement           s’efface ».

Auteur : Daniel Guénette

Né le 21 mai 1952, Daniel Guénette est originaire de Montréal. Il a vécu la majeure partie de son existence dans l’arrondissement de Saint-Laurent. Après des études en lettres à l’Université de Montréal, où il obtient un diplôme de maîtrise en création littéraire, il enseigne la littérature au cégep de Granby. En 2011, il prend sa retraite après 34 années d’enseignement. À l’aube de la soixantaine, il renoue avec l’écriture qu’il avait cessé de pratiquer durant près de vingt ans. Il publie chez Triptyque deux recueils de poésie, Traité de l’Incertain en 2013 et Carmen quadratum en 2016, ainsi qu’un récit, L’École des Chiens, en 2015. Dans son œuvre antérieure alternaient ouvrages de poésie (3 titres au Noroît, 2 chez Triptyque) et productions romanesques (3 titres chez Triptyque). Ces ouvrages furent publiés entre 1985 et 1996. L’ensemble fut bien reçu par la critique. À l’occasion du vingtième anniversaire des éditions Triptyque, feu Réginald Martel écrivait : « Et on soupçonne que bien des éditeurs seraient ravis d’inscrire à leur catalogue, parmi quelques auteurs de Triptyque, le nom d’un Daniel Guénette, par exemple. » J. Desraspes a enchanté Jean-Roch Boivin : « Ce roman est un délicieux apéritif, robuste et délicat, son auteur un écrivain de talent et de grands moyens. » Réginald Martel parle d’un roman « qu’on dévore sans reprendre son souffle » ; il salue également la parution des romans qui suivent, se montrant surtout favorable à L’écharpe d’Iris. Pierre Salducci écrit dans Le Devoir un article élogieux sur ce roman : « L’écharpe d’Iris est une réussite, une petite musique qui nous parle de la nature humaine et qu’on n’arrive pas à oublier. Un roman magnifique, un vrai. Pas un phénomène de mode. Pas un produit branché et périssable. Mais de la littérature. Tout simplement. » L’École des Chiens, qui en 2015 marque le retour de l’auteur au récit, a été commentée par divers blogueurs, dont le poète Jacques Gauthier : « Ce beau récit du poète Daniel Guénette évoque, avec pudeur et humilité, les onze années vécues auprès de Max qu’il a dû faire euthanasier à cause d’un cancer. Ils sont rares de tels livres qui traitent si tendrement de la relation entre un homme et son animal de compagnie. Ça parle de vie et de mort, d’attachement et d’amitié, d’enfance et de solitude. » Pour sa part, Topinambulle écrit : « Dans ce très beau récit, un homme apprivoise doucement le deuil de son chien. À la manière de Rousseau, Daniel Guénette nous invite à le suivre dans ses promenades, dans les méandres de ses souvenirs, où l'évocation de l'ami fidèle nous servira de guide. ». Dominic Tardif, dans Le Devoir, 4 juillet 2015 a rendu compte chaleureusement de L’école des chiens. Il a souligné qu’avec ce récit, l’auteur avait produit « de la vraie littérature » : « Plus qu’un livre sur un maître et son animal, L’école des chiens célèbre le pouvoir de l’écriture qui, chez Daniel Guénette, n’aspire pas à remplacer l’en allé, mais bien à en continuer la vie. » Recommandé avec enthousiasme à ses téléspectateurs, L’école des chiens a fait l’objet d’un échange de cadeaux à l’émission LIRE présentée sur ARTV. À partir de 1975, l’auteur a collaboré à diverses revues de littérature à titre de poète et de critique. On a pu lire ses recensions dans la revue Mœbius. Pour l’une d’elles, l’auteur a été finaliste au Prix d’excellence de la SODEP 2016, dans la catégorie Texte d’opinion critique sur une œuvre littéraire ou artistique. Plus récemment, l’auteur a publié deux nouveaux titres en poésie, Varia au Noroît en 2018 et, à l’hiver 2023, La châtaigneraie aux Éditions de la Grenouillère. Pour ce recueil, le poète a été finaliste au Prix d’excellence du webmagazine La Métropole. Dans la recension que réserve à cet ouvrage la revue LQ, le critique Antoine Boisclair écrit: « Ce recueil émouvant, très maîtrisé du point de vue formel, témoigne d’un savoir-faire indéniable. » Le critique et poète français Pierre Perrin écrit dans sa revue trimestrielle de littérature, la revue française « Possibles », ne pas confondre avec la revue québécoise du même nom : « Daniel Guénette a le vers sûr, souvent proche de l’alexandrin, parfois très bref. Il sait restituer une vie, avec sa foudre, ses éclairs, et les moments de calme, voire de communion. La Châtaigneraie constitue un beau recueil presque filial. » Pour sa part, dans Le Ou'tam’si magazine, Nathasha Pemba déclare que « La châtaigneraie est un recueil de poésie qui a l’allure d’un hommage, d’un renouvellement du contrat amical. C’est une poésie ontologique qui va au fond des choses pour faire émerger l’être. Daniel Guénette une fois plus confirme qu’il est poète, le poète de l’amitié, le poète de l’altérité, le poète de l’éternité. » Outre ces recueils de poésie, l’auteur fait paraître quelques nouveaux romans. De Miron, Breton et le mythomane, paru en 2017 à La Grenouillère, Dominic Tardif écrit dans Le Devoir : « Chronique des glorioles imaginaires d’un grand taquin aimant (se) conter des histoires et fabuler une légendaire vie d’aventures, Miron, Breton et le mythomane est le carton d’invitation d’une fête organisée en l’honneur du mensonge auquel s’abreuve n’importe quelle forme de littérature digne de ce nom. » Pour sa part, Dédé blanc-bec reçoit dans Nuit Blanche un commentaire signé Gaétan Bélanger : « Le ton poétique empreint d’humour et de nostalgie adopté par l’auteur rend extrêmement agréable la lecture de ce roman émouvant. Il faut préciser que, tout d’abord, il est un peu déroutant de suivre les bonds fréquents de la narration dans le temps. Plus que de simples digressions, elles donnent parfois l’impression que l’auteur saute du coq à l’âne pour revenir aux mêmes événements, observés sous un angle différent. Mais on s’habitue vite à cette manière ou à ce style et on l’apprécie pour son originalité. Voilà donc un roman au texte minutieusement poli et se démarquant par sa qualité et son audace. » Vierge folle est le dernier roman de l’auteur. La recension parue dans Culture Hebdo se termine avec ces mots : « Nous vous laissons le soin de découvrir la conclusion. Excellent, est un euphémisme. On a adoré. » Ce roman, sans doute le meilleur de l’auteur, s’il a suscité l’enthousiasme de ses lecteurs n’a guère fait l’objet de recensions sérieuses. Pour des recensions sérieuses, il aura fallu attendre l’hiver 2023. Au billet d’Antoine Boisclair portant sur La châtaigneraie, se sera ajoutée dans Le Devoir une chronique de Louis Cornellier consacrée non pas à un roman ou un recueil, mais à un essai. Le journaliste y salue d’abord le travail entrepris par l’écrivain sur son blogue : « Fin lecteur de poésie, l’écrivain s’y impose comme un critique raffiné, érudit et amical dont le style, limpide et élégant, s’apparente à celui de la conversation relevée. Ces qualités en font une rareté dans le paysage littéraire québécois. » Puis, il rend compte de l’essai : « Dans Le complexe d’Orphée (Nota bene, 2023, 186 pages), l’écrivain se fait plus essayiste que critique en proposant « une manière de promenade » dans laquelle il tente « de saisir la nature de la poésie ». Fidèle à son approche modeste et exploratoire, il déambule en compagnie des poètes et penseurs qu’il aime afin de délimiter son objet, tout en cultivant le souci de ne pas l’enfermer. » Il conclut sa chronique en ces termes : « Partisan des « poèmes limpides » qui disent de « simples vérités », Guénette trouve dans la poésie un antidote « à l’endormissement de [ses] facultés » ou, comme l’écrit Valéry, un discours « chargé de plus de sens, et mêlé de plus de musique, que le langage ordinaire n’en porte et n’en peut porter ». Fénelon aurait aimé ce livre admirable. » La conclusion de l’article d’Antoine Boisclair portant sur La châtaigneraie était elle aussi plutôt réjouissante : « Romancier accompli (son dernier récit, Vierge folle, est paru en 2021 aux éditions de La Grenouillère), critique littéraire important (son blogue, intitulé Dédé blanc-bec, offre des comptes rendus très étoffés sur des publications québécoises), Daniel Guénette est aussi un poète qui mérite toute notre attention. »

5 réflexions sur « Dominique Olivier : Le carrousel des trahisons : Poésie : Écrits des Forges : 2020 »

  1. Quel hardi scaphandrier es-tu, Daniel, de plonger ainsi dans les mers et sentiments sombres et agités de nos poètes et, avec ta torche magique, de nous les décoder tout en douceur!
    Merci pour cette oeuvre si généreuse.

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  2. Mon premier scaphandrier, je le dois à Tintin. Je l’ai vu dans le « Trésor de Rackam le Rouge ». Ce livre a été l’élément déclencheur de ma vocation de lecteur. Un recueil de poésie contient des trésors. Il s’agit de plonger dans la lecture pour les découvrir. Merci, cher Laurent.

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