Ce n’est pas sans réticence que je propose le commentaire qu’on lira ci-dessous. Il rend insuffisamment justice à l’œuvre. Pour ainsi dire, il n’en parle presque pas. Alors que je me sens si proche de la poésie de Ouellette, plutôt que d’examiner de près la matière de Présence du large, à laquelle je suis fort sensible, je pose un regard qui porte plutôt sur l’ensemble de la production poétique récente du poète. En fait, j’examine moins son œuvre qu’un certain éloignement qui prévaut, me semble-t-il, à son endroit. Éloignement dont je tente de comprendre les raisons. Je cherche également, il va sans dire, à corriger une méprise. À mon avis, on aura assisté dans les dernières décennies à une mise à distance de cette parole. On lui fait la sourde oreille. Ce faisant, et c’est là un euphémisme, on se prive de beautés.
En un certain point de l’être s’exprime toute sa gravité. L’être de Fernand Ouellette, sa personne ainsi que la vôtre ou la mienne, connaît certes la joie, le rire et la légèreté, mais au lieu même où le poème en lui prend son essor, où se déploie sa parole la plus intime, il n’est guère plus de place que pour le désir d’élévation.
J’entends par élévation un envol procédant de notre situation terrestre, d’hommes et de femmes, situation du vivant tout entier gravitant sur le sol en une existence à première vue uniquement matérielle, confinée qu’elle est, du moins en apparence, dans un espace restreint que seul l’œil intérieur, méditatif, contemplatif, parvient à décloisonner afin d’accéder à ce que le poète appelle la présence du large.
Toutefois, prenant appui sur des faits que nous réprouvons tous grandement, abus, violences, scandales perpétrés par des hommes d’Église ; hier, l’Inquisition et les croisades ; aujourd’hui, la montée des intégrismes religieux ; trop souvent, rapidement nous jugeons l’affaire entendue et condamnons en bloc toute démarche se réclamant du divin. Notre idée semble faite une fois pour toutes, mysticisme et spiritualité ne tiennent pas la route. Or il faudrait craindre ici d’avoir la vue plutôt courte.
D’abord, une question. Peut-on lire Ouellette sans adhérer à sa vision du monde ? Encore faudrait-il pour répondre, s’aviser d’ajuster notre lorgnette à cette vision. Elle me semble bien loin d’être simple. On ne peut la réduire à une forme d’aveuglement volontaire, d’obéissance servile à un dogme dont souvent on ne comprend vraiment ni l’esprit ni la lettre. Ouellette n’est pas un perroquet de la bonne parole. Il l’entend trop bien pour y « attenter », pour l’enfermer dans les limites étroites d’un livre, alors que bien au contraire, et cela d’un de ses ouvrages à l’autre, il n’aspire qu’à de l’ouverture. Pour informée qu’elle soit sans aucun doute par la théologie, par des ouvrages religieux, la poésie de Ouellette ne m’apparaît relever ni de la théorie, ni des savoirs religieux, ni de la morale qui en découle, mais dont lui ne se fait en rien le prosélyte. Pas de prêchi-prêcha chez ce poète. On ne le lit pas pour s’entendre dire quoi faire ou quoi penser, pour se conforter dans ses propres croyances ou au contraire consolider de façon oppositionnelle un doute, même radical, élevé au rang d’une certitude absolue, à savoir que hormis ce qu’on a sous les yeux rien n’existe et n’existera.
C’est que Ouellette nous convie plutôt à une véritable et authentique démarche. Je me permets ici une réflexion, un peu naïve, mais il se pourrait qu’elle nous soit finalement utile, qu’elle favorise en quelque sorte l’entendement du lecteur réticent, voire récalcitrant, en ce qui a trait au lieu qu’investit l’âme du poète.
Voici ma pensée. Je m’étonne de voir qu’on s’étonne à si peu de frais et qu’on s’abandonne si facilement dans le domaine de l’extraordinaire, du fantastique et du merveilleux. Qui se ferme à la parabole néanmoins s’engage volontiers dans l’incongru et l’absurde. Le film d’action tiré par les cheveux le ravit. Le réalisme magique encore davantage. Or si un poète entreprend de prier, ne serait-ce que du bout des lèvres, d’évoquer la lumière du divin, alors, c’est le comble. On se désiste, on referme le livre.
Alors qu’on devrait plutôt le garder bien ouvert et se montrer soi-même ouvert à ce qui bientôt sous le couvert des mots risque de se produire. Je dis : risque de se produire. J’ajoute : pour nous. Parce que pour le poète, la chose est déjà manifeste, nous pourrions dire révélée. Lui se tient comme au bord du monde, face à l’univers si vaste, symbolisé dans son ouvrage soit par la mer immense, soit par le cosmos infini ou encore le sommet des plus hautes montagnes. Notre réalité brute et immédiate, certes il n’en fait pas fi, comment le pourrait-il ? Ses chaînes ne freinent-elles pas ses élans ? Son cœur n’est-il pas parfois aussi lourd qu’une pierre, alors qu’en lui, oiseau plutôt, le désir n’a de cesse de s’élever ?
Reprenons tout du début. Ouvrons le livre à nouveau. Lisons. Commençons par le premier poème. On y trouve ces vers : « Tout s’énonce/Dans une seule parole. /Pour la mutité de l’âme,/Pour les esprits enfin,/Sur le qui-vive. » D’abord, « tout » est bien vaste, qui justement inclut toutes choses, elles-mêmes encloses en un verbe unique : « une seule parole ». Tel est le multiple rassemblé dans l’unité du verbe. Nous devrions méditer longuement ce passage. Mais pour l’instant, ce constat : dès le premier poème du recueil apparaissent ces mots, souvent décriés par la pensée contemporaine : « âme » et « esprit ». Ne manque, mais cela ne saurait tarder que le mot « cœur ». En cette métonymie de « pensée contemporaine », j’évoque des idées imperméables à ce qui est de l’ordre d’un certain sacré. Je dis « un certain », car devant d’autres que celui du christianisme, il est souvent manifesté accueil plus favorable. Nul, par exemple, ne s’offusque de ce que les Premières Nations évoquent le caractère sacré de leurs terres ancestrales. Et l’on se montrera plutôt sympathique à des croyances — somme toute universelles dans la mesure où elles participent de l’histoire de l’humanité, — sympathique, dis-je, à des croyances du type qu’on rencontre dans les vers célèbres de Nerval où « Chaque fleur est une âme à la Nature éclose », où « Un mystère d’amour dans le métal repose » et où finalement « Un pur esprit s’accroît sous l’écorce des pierres. »
Ces mots, « âme », « cœur », « esprit », on peut se risquer ici à les définir, quoiqu’un certain flottement persiste à travers eux dans le corps du poème. En ces définitions, du reste, je ne crois guère me montrer original. On s’entend généralement, en effet, pour associer à l’âme les divers phénomènes relevant de la spiritualité. Il est possible de considérer que l’âme dans les poèmes de Ouellette correspond à ce qui en nous aspire à l’élévation, à une inclusion dans un ordre qui d’une certaine manière échappe à la compréhension qu’en peut avoir l’esprit. L’esprit étant le siège de l’intellect, ce par quoi nous pouvons nous penser et penser le monde où l’on évolue. Mais cela dit, l’esprit n’est pas sans rapport avec l’Esprit. Le cœur bien entendu renvoie aux sentiments que nous éprouvons. Il est connoté positivement, est en lien avec le mouvement qui pousse à la compréhension via l’intellect, à l’élévation via l’âme.
Cela étant dit, on constatera que ces termes subissent dans le poème un traitement analogue à ce que ce dernier accomplit avec tous les autres mots, les métaphorisant, les allégorisant. Ainsi en est-il, par exemple, des oiseaux et des pierres, des fleurs et des fleuves, de la mer et du ciel, qui pas plus que la triade cœur, âme et esprit n’apparaissent comme des concepts purs et durs, car s’il est de la philosophie dans la poésie de Ouellette, celle-ci ne relève pas davantage de la philosophie que de la théologie. Elle est la poésie d’un homme vivant, à qui le poème offre justement une voix et à qui la foi montre la voie. Bien entendu, je souhaiterais ici, dès que proféré, effacer ce lieu commun, cette rime qui, pour facile qu’elle soit, n’en demeure pas moins révélatrice de la démarche de Ouellette. N’a-t-il pas répété à plusieurs reprises, en souriant, mais non sans s’insurger quelque peu, soucieux de bien mettre les points sur les i, que contrairement à ce qu’on dit de lui, il n’est pas un poète chrétien, mais bien plutôt un « chrétien poète » ? Bref, il n’y a rien d’exagéré à affirmer que Ouellette a trouvé dans la poésie le moyen de nommer et d’accomplir, tout en le parcourant, le chemin qu’il a choisi de faire sien, chemin de pèlerin s’il en est.
Sur ce chemin, il ne demande pas expressément au lecteur de le suivre, quoique ce dernier puisse accueillir sa parole et être témoin de son parcours. En être éclairé, inspiré. Chose certaine, il s’en trouvera enrichi. Ne serait-ce que sur le strict plan de la création littéraire, de l’invention d’une parole poétique, imaginative et musicale. Mais nous l’avons vu, et j’insiste sur ce point, ce n’est pas là une forme sans fond, un discours sans contenu. On y trouve matière à réflexion, sans doute oui, mais je tiens à le souligner, également matière à expression, car le poète a trouvé sa vie durant une manière d’exprimer ce qui finalement est commun à l’ensemble de ses contemporains, lesquels éprouvent tout comme lui un étouffement lorsqu’ils s’engoncent dans une réalité uniquement matérielle, dans une existence où les passions déchirent l’être, l’abîment souvent lamentablement.
Ne lisons pas trop rapidement les poèmes de ce recueil. Chacun est un soliflore, qui offre sa fleur unique. À chaque jour suffit amplement son poème. Aussi convient-il de lire chacun d’eux au rythme où le poète les a écrits, les reliant non pas dans la précipitation, mais page après page. En adoptant leur rythme de lenteur, le lecteur permet à chaque fleur de délivrer son parfum, sa beauté, ses sens.
Ce recueil écrit au fil des jours, ce sont les jours qui lui confèrent finalement son unité, laquelle ne provient pas d’un traitement artificiel, livresque, laquelle n’est pas due à des considérations de formes et d’équilibre des masses (une fleur ne pèse pas lourd : elle est légère et tend à s’élever dans une verticalité chère au poète) : unité donc provenant de la quête même du poète, de son existence au jour le jour et de la constance de son très humain souci d’élévation.
Glissement
Pierre s’égare, songe
Qu’elle monte, mais tombe.
À l’opposé du martinet,
Sans pesanteur, qui,
Hardiment s’élance.
Seul l’oiseau connaît
La feinte de la chute,
Maintient sa poussée,
Alors que ses ailes s’éclairent
Au frottement de l’immensité.
Comme si le vrai mouvement
Provenait du cœur
Priant d’un prophète.
Ou que ses arabesques,
Ses audaces jouaient leur partie haute
Dans une musique imperceptible.
Voilà pourquoi je crains
De m’abandonner distraitement
À ce qui est fasciné par la terre,
De m’apercevoir trop tard
Que je chute, pierreux,
Roule dans l’irréel.
Vous savez pourquoi j’aime vous lire Daniel???? Parce que vous avez l’esprit ouvert…. Je ne connais
Pas Ouellette, mais je vais lire au moins un de ses ouvrages… Vous avez piqué ma curiosité… Merci de nous faire connaître tous ces poètes…. Je pourrais vous parler longtemps de l’âme et de l’esprit… Sans tomber dans la religion comme nous l’avons apprise… Ce que vous avez écrit me parle énormément… Merci encore….
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Vous trouverez à la bibliothèque de nombreux livres de Ouellette. Il aura 90 ans cet automne. C’est un monsieur charmant et un immense poète. Merci pour vos commentaires. Je les apprécie beaucoup.
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