Fernand Ouellette est un croyant. Il ne s’en est jamais caché. Et pourquoi aurait-il dissimulé cette part si essentielle de son être, part contenant, pourrait-on dire, son être à part entière ? Justement, il me semble qu’on ait depuis longtemps et trop souvent enfermé le poète dans sa foi, rabattant sur lui et son œuvre le couvercle d’un quasi-cercueil, celui précisément du silence où la critique a relégué son plus récent recueil. Nulle part, à ma connaissance, il n’a été fait mention de cet ouvrage, sinon dans Le Devoir, mais alors de manière allusive, c’était dans le cadre d’un entretien accordé à Dominic Tardif.
C’est que pour d’aucuns, la foi fait obstacle. Surtout si elle ne se présente et représente pas de manière diffuse, voire confuse. Dès qu’on reconnaît dans un discours les éléments fondamentaux de la foi instituée par l’Église et ses prophètes, on se rebute. On discrédite l’imaginaire d’un poète dans l’œuvre duquel apparaissent les images de la foi tel qu’elles ont traversé les siècles. On rejette ses croyances, que soit bleu le ciel où l’on abordera, que des anges même nous y accueillent.
Dès lors, la lecture de poèmes baignés dans la lumière de la foi se voit freinée par de bien curieuses réserves. En effet, on taxe de délire toute parole « mystique » s’aventurant par-delà le mur bien tangible du réel. Pourtant, en général, notre sensibilité contemporaine admet sans arrière-pensée les productions les plus extravagantes et fantaisistes qui soient, tout droit sorties de l’imagination des créateurs, conteurs, romanciers, inventeurs de toutes sortes. Nul ne recule devant les hallucinations qu’offre le grand écran. On en redemande. Il nous faut bien rêver.
Des réticences s’offusquent cependant où l’on déclare que les pensées de foi ne sont que fables, suscitant les adhésions puériles, tels des opiums entravant la conscience. Ce qui est en accord avec la foi semble dépasser les bornes. La raison raisonnante s’arrête au pied du mur. Elle n’autorise que des incursions dans les fictions qui se donnent pour telles, elle raffole du faux lorsque le faux semble plus vrai que le vrai. On embarque aisément dans des galères données pour imaginaires, des histoires fantastiques ou merveilleuses. Mais il en va autrement, s’agissant de ce que Ouellette appelle l’invisible, l’invisible dont il a espérance et vers quoi tend tout son être, y puisant une inspiration qui se confond et s’alimente à même sa foi.
L’invisible ! Là vit désormais l’absente. Celle qu’il aimait se trouve dans l’ailleurs. Le poète souffre de son absence, il chante sa douleur. Son chant en est un de déploration. Mais de louange également. Car celle qui se trouve dans l’invisible l’y accueillera bientôt. Dès qu’il aura gagné en maturité, que son âme sera prête pour son ascension, il quittera le séjour terrestre.
L’histoire racontée dans ce recueil — çà et là on y trouve quelques poèmes narratifs — est belle et touchante. Elle court sur soixante ans. Avec le premier poème du recueil, nous assistons à la scène cruciale, aux derniers instants de vie de la femme du poète : « Peu à peu, tu as glissé dans le silence,/Comme une barque dérive,/Se balance, saturée de vide. […] Longuement je t’ai tenu la main/Pour t’accompagner dans l’abandon. /Puis la disparition irreprésentable/Commença de parler/Par le corps qui s’était tu… ». Ce premier poème est beau. L’image de la barque sera reprise plus loin. D’autres images apparaissant dans les premières pages feront elles aussi l’objet d’un développement, contribuant ainsi à donner au recueil son unité. Il y aura la photographie silencieuse de la disparue, image « fixe comme une pierre », visage de « celle qui est bien muette sur ses images. » D’autres métaphores filent la toile du récit et le tiennent resserré autour de l’absente. Ces leitmotive sont des variations sur un même thème. Il s’agit là de répétitions qu’engendrent l’obsession, le retour constant par la pensée et les sens à la disparition de l’absente, le toujours vif souhait d’être à nouveau en sa présence. Ces reprises me font songer à Maurice Scève, à sa Délie de la plus haute vertu, un recueil différent à bien des points de vue, le poète y étant éconduit par celle qu’il aime, d’où ses souffrances. Elle est absente, mais n’est point morte. Le point commun est celui de la variation. Mais nous pourrions également ajouter celui de la beauté.
Oui, il y a énormément de beauté dans le recueil de Ouellette. De nombreux poèmes sont à mon sens de pures merveilles. Encore faut-il pour accéder à tant de beauté, lire comme il convient de lire toute poésie forte et sentie. Une lecture lente et attentive s’impose, de sorte que les mots du poème puissent être accueillis et se déposer avec tout leur poids dans l’esprit, dans l’âme du lecteur. Lus à voix basse, dans le recueillement, ces poèmes se révèlent dans toute leur plénitude.
Mais attention ! Ce n’est pas le métier que certes le poète possède, pas la qualité intrinsèque de ses vers également au rendez-vous, pas tant la beauté formelle qui nous rejoignent, mais bien plutôt la sincérité et l’authenticité de la parole du poète. Bien entendu, si Ouellette n’excellait pas à manier la matière verbale comme il le fait, le lecteur ne serait pas touché à ce point. Il n’y aurait pas pour le faire vibrer cette justesse dans le rendu de l’émotion, du sentiment éprouvé par le poète. La vérité vécue, quelle qu’elle soit, si elle est mal exprimée, ne rejoint pas autrui. Mais c’est bel et bien l’art qui seul rend réellement possible ce qui alors s’établit par-delà l’art lui-même : une expérience sensible est communiquée ; l’autre, le lecteur, peut la faire sienne, il la reçoit. Portée par les mots, la beauté se déplace alors dans le sentiment, l’élan et l’élévation. Elle devient la chose même.
La beauté d’une œuvre est souvent d’autant plus saisissante qu’elle procède du besoin d’exprimer la beauté elle-même, soit une beauté qui lui est extérieure et dont il s’agit de témoigner. Ainsi peut-on croire que le poème d’amour doit en grande partie sa beauté à l’amour lui-même, tel qu’éprouvé par le poète. Car le poème très souvent doit son intensité à ce qui inspire le poète. Une tiédeur de sentiment rarement générera de puissantes ou émouvantes envolées. Le lyrisme le plus plat peut parfois être porté au compte d’un sentiment lui-même à plat. Croire que la beauté n’est qu’une affaire de forme revient à oblitérer le rôle important que joue dans l’expression poétique le sentiment à l’origine du geste créateur. Les mots qui disent ne sont pas à eux seuls dignes ou indignes d’admiration, ce qu’ils disent importe également, l’effet qu’ils produisent chez qui les accueille n’est pas non plus négligeable. Bref, on ne peut ni ne doit évacuer le contenu. Ce contenu dans le recueil de Ouellette repose dans une urne. Tout tourne autour de cette urne. Les cendres de la femme aimée sont au centre du poème.
Au début du livre, on peut lire quatre citations. Elles annoncent le programme, énoncent le propos.
Un mot d’abord de Kierkegaard : « Seul celui qui descend aux enfers sauve la bien-aimée. » Dans le recueil de Ouellette, la bien-aimée ne sera pas littéralement sauvée, mais à coup sûr descendre aux enfers en préservera en quelque sorte la présence. Descendre aux enfers ici, c’est assurément éprouver au présent la douleur de l’absence. La souffrance de qui demeure seul dans le deuil est en soi déjà une mort.
Deuxième citation : « La métaphore défie, surmonte la mort […] lors même qu’elle transcende le temps et l’espace. » George Steiner. La métaphore, autrement dit la poésie, permet d’accomplir ce miracle de la parole. Le temps et l’espace : en réalité deux temps et deux espaces. Le temps d’avant où les deux amants vivaient ensemble : le temps d’après la déchirure où l’un reste dans le suspens de son temps, tandis que l’autre accède à l’intemporalité. De même, deux espaces : celui que foulèrent les amants où désormais celui qui reste erre à l’abandon, et aussi ce lieu de l’au-delà où la femme aimée s’est envolée pour toujours. Le poème a volonté de réunir en une gerbe de cristal les amants que la mort a séparés.
Ouellette donne ensuite la parole à William Carlos Williams : « Chante-moi un chant qui rende la mort tolérable. » Sans doute le recueil tout entier obéit-il principalement à cette injonction. Le baume de la poésie n’est hélas efficace que momentanément. Son effet lénifiant ne dure qu’un instant, d’où la nécessité de reprendre sa lyre au quotidien. Plus de cent poèmes ici. On devine qu’une fois le recueil terminé, le deuil n’aura pas encore pris fin. Sous d’autres formes, il se poursuivra. D’autres poèmes viendront où seront à nouveau évoqués les absents ; le poète pourra alors écrire une variation sur ces vers que j’extrais de la page 47 : « Tous ceux qui m’accompagnaient/De saison en saison,/Maintenant déracinés/Par un coup de mort,/Sur une autre rive questionnent un autre horizon/Dont ils feront éternellement l’expérience. »
Finalement, et soyons ici surtout attentifs au dernier mot de la citation empruntée à l’ineffable Écharpe rouge de Bonnefoy : « Vois, il ne va nous rester que la lumière. » Cette lumière, le recueil en est plein (espérance), tout comme il est empli d’ombre (souffrances de l’endeuillé). Mais à la fin, c’est-à-dire lorsque sera venu pour le poète le moment du grand départ, la lumière prévaudra. D’ici là, un chemin se dresse tel un obstacle ou une épreuve devant le poète. Il s’agit d’un sentier escarpé. Il doit gravir une falaise, un mont. Une fois parvenu à son sommet, il sera mûr pour son ultime envol. Voilà en quelques mots la métaphore que file Ouellette tout au long de son recueil ; c’est une allégorie qu’il prend au pied de la lettre, tant il y croit et tant cette croyance naît d’une espérance qu’il couve et nourrit sans relâche. « Je m’appuie sur une intuition/Qui me surpasse. » Cette intuition est justement celle de l’espérance. Avec l’espérance, le poète imagine les scènes qui l’attendent : « Afin de t’entrevoir,/J’emprunte des chemins impraticables/Pour l’esprit. La forte espérance/Me trace une ouverture/Au plein de l’éther. »
Chemins impraticables, surtout pour un esprit cartésien.
Le poète, celui qui croit qu’après la fin il y a le véritable début de tout, appuie son échelle contre le mur, contre la paroi de la falaise. Il veut gravir, il s’aventure sur le sentier. Mais ses mots perdent parfois « la magie/D’une trajectoire ».
On aura compris que la grande allégorie du poème se déploie dans la vaste nature. Le poète est au bord de l’océan : « Bien en face, l’autre rive demeure/Une paroi à jamais inaccessible. » Le voici condamné à l’attente. Lorsqu’il sera prêt, la « manquante » viendra à sa rencontre. Il est séparé d’elle qui se trouve pour l’instant « là-haut bien au-delà des sphères ». Mais le poète croit toutefois en « l’escalade possible,/Sans vertige, d’une montagne/Escarpée, certes, mais invisible. »
Fantaisie
Tous les possibles sont en toi,
Tous les commencements.
Ta moindre pensée se poursuit
En suivant la démesure de ton désir.
Si tu revenais, revenais auprès de moi,
Nous nous orienterions vers le soleil,
Sous l’arbre, au cœur de la brise,
Laissant se manifester des fragments de ciel,
Ou encore, sur le haut de la falaise
Pour ravir par les yeux
L’immensité de la mer.
Peut-être qu’ainsi agrandi, grâce à ton ampleur,
Je pourrais repartir avec toi
Vers mon accomplissement.
Je suis parvenue à l’article! Je le trouve super le blog! Peut-être que Fabrice pourrait t’aider du côté logistique du site. Bravo xx
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Voila j’ai trouvé ! EUREKA!
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Daniel, bonjour,
Vous écrire m’intimide beaucoup… votre écriture me ravit… comment vous en parler? Vous parler tout court? Mais puisque vous le demandez si gentiment, j’obéis: suis parvenue à trouver l’article, suis parvenue à le lire. Stop. Merci pour votre maladresse incroyable – elle vous va très bien! Au plaisir de vous lire. Sur votre blog (je préfère) et sur Facebook (il le faut bien).
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Je suis là aussi.
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Même que je suis abonné.
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J’avais lu cet article-hommage sur ta page Facebook avec beaucoup d’intérêt!
Bravo d’avoir créé ce Blog!
Amitiés,
Claude Toutant
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Heureuse de pouvoir lire vos articles… Merci beaucoup
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Heureuse de pouvoir lire vos articles… Merci beaucoup
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